Cour de justice de l’Union européenne, le 5 décembre 2024, n°C-379/23

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 5 décembre 2024, une décision importante relative à l’interprétation de la notion de produit. Un professionnel exerçant une activité d’achat d’or en ligne évaluait les métaux envoyés par les clients avant de proposer un prix de rachat définitif. Le médiateur chargé de la défense des consommateurs considérait que les pratiques promotionnelles de cette société étaient trompeuses au regard du droit national et européen.

La juridiction de première instance, le Tribunal de la propriété industrielle et de commerce de Stockholm, a interdit la poursuite de ces activités publicitaires. La cour d’appel siégeant à Stockholm, saisie du litige par le professionnel, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne. Elle demande si le service d’évaluation d’un bien suivi de son achat constitue un produit au sens de la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

Le professionnel soutient que les dispositions protectrices ne s’appliquent pas dès lors que l’action commerciale vise une prestation d’achat et non de vente. La juridiction de renvoi cherche à déterminer si cette offre combinée entre dans le champ d’application matériel des règles relatives à la protection des consommateurs. La question posée est de savoir si l’évaluation et l’achat d’un bien constituent un produit unique justifiant l’application de la législation sur les pratiques déloyales.

La Cour de justice répond que l’évaluation d’un bien par un professionnel avant son rachat forme, avec cet achat, un produit au sens de la directive. Cette solution repose sur l’interprétation large des notions européennes et sur la finalité protectrice de la réglementation garantissant un niveau élevé de sécurité juridique. L’étude de cette décision impose d’analyser l’unité conceptuelle de l’offre d’achat avant d’envisager l’extension de la protection aux stratégies d’acquisition des professionnels.

I. L’unité conceptuelle de l’offre commerciale d’évaluation et d’achat

L’offre de rachat de métaux précieux repose sur une prestation technique préalable indispensable à la fixation du prix et à la conclusion de la transaction. La Cour consacre une vision globale de cette opération économique pour garantir l’application des règles de loyauté à toutes les étapes du processus commercial.

A. Une acception matérielle étendue de la notion de produit

La définition du produit dans la directive englobe tout bien ou service sans exclure les offres conjointes associant plusieurs prestations distinctes au consommateur. La juridiction souligne que « rien dans la définition de la notion de « produit » […] ne s’oppose à ce qu’une offre conjointe » soit considérée comme telle. Cette interprétation autonome du droit de l’Union permet d’appréhender des montages contractuels complexes dépassant le cadre d’une simple vente de marchandises classiques.

Le libellé de l’article 2 ne contient aucune restriction empêchant la qualification de produit pour une opération où le professionnel se positionne comme un acheteur. Les juges rappellent que la directive se distingue par un « champ d’application matériel particulièrement étendu » afin de couvrir l’ensemble des démarches commerciales des entreprises. Cette souplesse textuelle assure que les nouveaux modèles économiques fondés sur le rachat de biens personnels demeurent soumis au contrôle de la probité publicitaire.

B. L’interdépendance fonctionnelle des prestations au sein de l’acte commercial

L’évaluation de l’or et son acquisition finale présentent un lien indissociable car la première détermine les conditions essentielles de réalisation de la seconde. Le professionnel conditionne l’achat à l’acceptation préalable de son expertise technique, créant ainsi une offre indivisible dont les éléments ne peuvent être isolés. Le juge relève que « le professionnel ne peut se livrer à une pratique commerciale qu’au moyen d’une communication promouvant le service d’évaluation ».

Cette connexité directe entre la promotion du service et l’acte d’achat justifie la qualification de pratique commerciale au sens de la législation européenne. Le consommateur est ainsi exposé à une communication globale qui influence son consentement sur l’ensemble de l’opération proposée par l’opérateur économique. L’inclusion de ces actes combinés dans le champ d’application de la directive permet d’examiner la loyauté des annonces dès la phase de sollicitation initiale.

II. L’effectivité renforcée du droit de la consommation par l’inclusion de l’achat inversé

L’application de la directive aux services d’évaluation préalable garantit que le professionnel ne contourne pas ses obligations lors d’opérations de rachat aux particuliers. Cette extension protège les intérêts économiques des usagers placés dans une situation de vulnérabilité particulière face à des méthodes d’acquisition potentiellement abusives.

A. La finalité protectrice face à l’asymétrie d’information des contractants

La protection des consommateurs repose sur le constat d’une infériorité structurelle vis-à-vis du professionnel, tant sur le plan juridique que sur celui de l’information. Le juge européen souligne que le consommateur doit être « réputé économiquement plus faible et juridiquement moins expérimenté que son cocontractant » lors de ces échanges. Cette asymétrie est particulièrement marquée lorsque le professionnel dispose seul des outils techniques permettant d’évaluer la valeur réelle des biens rachetés.

L’objectif de la directive est d’assurer que « les pratiques commerciales déloyales soient […] combattues de manière efficace » dans l’intérêt collectif du marché intérieur. En qualifiant l’évaluation de produit, la Cour empêche les entreprises d’échapper à leurs responsabilités en prétendant agir uniquement en qualité de simples acquéreurs. Cette approche finaliste assure que l’utilisateur reçoit une information claire et non trompeuse, indépendamment du sens du flux financier entre les parties.

B. L’assujettissement des stratégies d’acquisition aux règles de loyauté commerciale

La solution retenue impose aux entreprises de rachat le respect des interdictions relatives à la publicité appât ou aux omissions trompeuses de renseignements substantiels. La Cour juge que le service d’évaluation « constitue, ensemble avec cet achat, un « produit » », soumettant ainsi les mesures promotionnelles au contrôle des autorités. Les techniques visant à attirer les clients par des promesses de prix maximaux irréels tombent désormais sous le coup des sanctions prévues.

Cette décision renforce la sécurité juridique en unifiant le régime des pratiques commerciales, qu’elles concernent la fourniture d’un bien ou son acquisition organisée. La portée de l’arrêt s’étend à tous les secteurs où un professionnel propose une expertise gratuite pour inciter un particulier à se défaire de ses actifs. L’assujettissement des stratégies d’achat au droit commun de la consommation prévient les risques de spoliation lors de transactions réalisées hors des cadres traditionnels.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture