La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 5 février 2015, une décision fondamentale concernant le régime juridique des précurseurs de drogues. Cette affaire soulève la question de la qualification de médicaments contenant des substances chimiques détournables pour la fabrication illicite de stupéfiants. Plusieurs individus avaient acquis d’importantes quantités de comprimés pharmaceutiques en vue de produire illégalement de la méthamphétamine. Ces produits circulaient entre plusieurs États membres ou étaient destinés à l’exportation vers des pays tiers pour un usage détourné. Condamnés en première instance, les prévenus ont formé des recours devant la juridiction suprême allemande qui a saisi la Cour. Le juge européen devait déterminer si ces produits pharmaceutiques constituaient des substances classifiées au sens de la réglementation relative aux précurseurs. La Cour a jugé qu’un médicament ne saurait être qualifié de substance classifiée au titre des règlements européens concernés. Cette position nécessite d’examiner l’exclusion de principe des médicaments avant d’analyser la cohérence des régimes de contrôle applicables.
I. L’exclusion de principe des médicaments du champ des substances classifiées
A. L’exigence d’une interprétation uniforme face aux disparités linguistiques
Certaines versions linguistiques du droit de l’Union suggéraient une interprétation restrictive de l’exclusion des médicaments. La Cour rappelle que « la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition ne saurait servir de base unique à l’interprétation ». Elle privilégie une lecture fondée sur le contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation européenne. L’analyse grammaticale des textes français ou italiens confirme ainsi que les médicaments sont exclus en tant que tels de la définition. Cette approche assure une application égale du droit sur l’ensemble du territoire de l’Union sans distinction arbitraire.
B. La préservation de la spécificité de la définition du médicament
La notion de médicament bénéficie d’une définition précise au sein de la directive 2001/83 instituant un code communautaire relatif aux produits humains. La Cour souligne que cette définition « revêt une importance significative » dans l’interprétation des règlements sur les précurseurs de drogues. L’article 2 des règlements concernés exclut explicitement ces produits de la catégorie des substances classifiées. Les juges considèrent que l’extraction aisée des substances actives ne modifie pas la nature juridique initiale du produit fini. Cette distinction nette évite toute confusion entre les produits industriels de base et les préparations destinées aux soins humains.
II. La reconnaissance d’une protection sanitaire équivalente et suffisante
A. L’analogie des dispositifs d’autorisation et de surveillance
L’exclusion des médicaments ne crée pas de vide juridique puisque ces produits sont déjà soumis à des contrôles rigoureux. Les régimes applicables aux substances classifiées et aux médicaments sont, selon la Cour, « en substance similaires ». Elle relève que l’autorisation de mise sur le marché et l’encadrement de la distribution en gros garantissent une surveillance étroite. De plus, l’obligation de prescription médicale pour certaines substances permet un contrôle encore plus strict de leur utilisation. Le législateur européen n’a donc pas souhaité imposer un régime supplémentaire d’autorisation aux médicaments déjà réglementés par le code communautaire.
B. Une solution confortée par l’analyse systématique du droit de l’Union
La décision s’appuie sur le constat qu’aucun élément ne visait à soumettre les médicaments à des formalités administratives redondantes. La Cour note que le commerce des médicaments n’était initialement pas inclus dans le système de contrôle des précurseurs. Elle mentionne toutefois que le règlement 1259/2013 a ultérieurement modifié ce cadre pour certains cas spécifiques d’exportation. En l’état du droit applicable au litige, le produit répondant à la définition du médicament ne peut subir une requalification pénale. Cet arrêt assure ainsi la sécurité juridique des opérateurs économiques tout en maintenant la cohérence du marché intérieur.