Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juillet 2007, n°C-255/06

Par un arrêt rendu par sa deuxième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la recevabilité d’une demande en révision d’une de ses précédentes ordonnances. En l’espèce, une société requérante avait formé un pourvoi contre un arrêt du Tribunal de première instance, pourvoi qui fut rejeté par une ordonnance de la Cour au motif qu’il était en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé. Postérieurement à cette décision de rejet, la société a saisi la Cour d’une demande en révision de ladite ordonnance, en invoquant la découverte de deux faits qu’elle estimait nouveaux et d’une influence décisive. Le premier fait consistait en une déclaration politique faite par un État membre avant son adhésion, ainsi qu’un procès-verbal d’une réunion du Conseil, documents auxquels la requérante affirmait n’avoir pu accéder précédemment. Le second fait était un arrêt rendu par la Cour de justice près de vingt ans auparavant. Le Conseil et la Commission, parties défenderesses, ont conclu au rejet de la demande pour irrecevabilité, arguant que les conditions de la révision n’étaient pas remplies. Se posait alors la question de savoir si des déclarations de nature politique ou un arrêt anciennement publié pouvaient constituer des faits nouveaux au sens de l’article 44 du statut de la Cour, justifiant l’ouverture d’une procédure de révision. Dans son arrêt, la Cour de justice rejette la demande comme irrecevable, considérant que les éléments avancés par la requérante ne sauraient être qualifiés de faits nouveaux et que la demande ne satisfaisait pas aux exigences formelles prévues par son règlement de procédure.

La solution retenue par la Cour témoigne d’une application rigoureuse des conditions de recevabilité de la voie de recours extraordinaire qu’est la révision. Elle s’attache à définir strictement la notion de fait nouveau, condition substantielle de la révision (I), avant de rappeler l’importance du respect des exigences formelles, condition procédurale de son examen (II).

I. L’interprétation stricte de la notion de fait nouveau

La Cour, pour rejeter la demande, opère une analyse rigoureuse des deux éléments présentés par la requérante. Elle refuse d’abord de reconnaître une portée juridique à des déclarations de nature politique (A), puis écarte logiquement la qualification de nouveauté pour un arrêt déjà publié (B).

A. Le rejet de la qualification de fait nouveau pour des déclarations politiques

La requérante invoquait une déclaration unilatérale d’un État membre et un procès-verbal du Conseil comme des faits qui, s’ils avaient été connus, auraient pu influencer la décision initiale. La Cour écarte cet argument en se fondant sur la nature même de ces documents. Elle juge que de tels textes « sont essentiellement de nature politique et ne peuvent pas constituer une source autonome de droits ou d’obligations ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle des prises de position, même communes à des États membres, ne peuvent infléchir l’interprétation d’une disposition juridique si leur contenu « ne trouve aucune expression dans le libellé de cette disposition ». En agissant ainsi, la Cour rappelle que le processus interprétatif doit se baser sur des sources de droit formelles et non sur des engagements politiques qui, bien que pouvant avoir un poids diplomatique, sont dépourvus d’effets juridiques contraignants en eux-mêmes. La solution est donc une manifestation de la primauté du droit sur le politique dans l’ordre juridique de l’Union.

B. L’exclusion logique de la nouveauté pour une décision de justice antérieure

Le second élément avancé par la partie requérante était un arrêt rendu par la Cour en 1989. L’argument est balayé avec une logique implacable. La Cour constate « qu’un arrêt de la Cour, faisant de surcroît l’objet d’une publication au Recueil de la jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, ne peut pas être considéré comme étant inconnu de la Cour et de la requérante ». Par conséquent, un tel arrêt « ne saurait, par conséquent, constituer un fait nouveau ». Cette évidence factuelle suffit à disqualifier l’argument. Le caractère public et accessible des décisions de justice fait obstacle à ce qu’une partie puisse ultérieurement prétendre en avoir découvert l’existence. Admettre le contraire reviendrait à créer une insécurité juridique considérable et à récompenser la négligence des plaideurs. La Cour réaffirme ainsi que la condition de nouveauté d’un fait s’apprécie objectivement et ne saurait dépendre de la connaissance subjective, et potentiellement défaillante, qu’en a une partie.

L’analyse des conditions de fond de la révision étant faite, la Cour renforce sa décision en se fondant sur le non-respect par la requérante des exigences procédurales qui encadrent cette voie de recours.

II. La sanction du non-respect des exigences formelles de la demande

Au-delà de l’absence de fait nouveau, la Cour relève que la demande est également irrecevable pour des motifs purement procéduraux. Elle sanctionne ainsi le défaut de pertinence et de précision de la requête (A) tout en rappelant que la révision ne peut servir de prétexte à une nouvelle contestation de la décision initiale (B).

A. Le défaut de précision et de preuve de la requête

La Cour s’appuie sur son règlement de procédure pour souligner que la demande en révision doit non seulement indiquer les points contestés de la décision, mais aussi fournir les moyens de preuve démontrant l’existence des faits justifiant la révision et le respect des délais. Or, en l’espèce, elle constate que la requérante « n’a aucunement établi un lien entre les faits invoqués et les points sur lesquels l’ordonnance en cause est attaquée ». La Cour critique également le manque de cohérence et de précision de la demande. De surcroît, elle relève que la requête « ne contient aucune indication relative au moment auquel les faits invoqués ont été découverts », empêchant toute vérification du respect du délai de trois mois pour agir. Ce formalisme rigoureux n’est pas une simple exigence procédurale ; il garantit le caractère exceptionnel de la révision et protège l’autorité de la chose jugée contre des demandes dilatoires ou insuffisamment motivées.

B. Le rappel du caractère extraordinaire de la voie de révision

Enfin, la Cour prend soin de distinguer la révision de l’appel. Face aux critiques formulées par la requérante à l’encontre du bien-fondé de l’ordonnance attaquée, elle rappelle que « la procédure de révision constitue non pas une voie d’appel, mais une voie de recours extraordinaire ». Les griefs relatifs à l’appréciation des faits ou du droit par le juge sortent manifestement de l’objet d’une telle procédure. Cette distinction est fondamentale. La révision a pour seul but de corriger une erreur de fait découlant de l’ignorance d’un élément déterminant au moment du jugement. Elle ne permet en aucun cas de réexaminer l’affaire au fond. En réaffirmant ce principe, la Cour préserve la finalité de chaque voie de recours et consolide le principe de sécurité juridique, selon lequel une décision de justice définitive ne doit être remise en cause que dans des circonstances exceptionnelles et strictement encadrées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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