Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juillet 2012, n°C-141/11

Par un arrêt du 5 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de justification d’une différence de traitement fondée sur l’âge en matière de cessation de la relation de travail. La Cour était saisie d’une demande de décision préjudicielle par une juridiction suédoise dans le cadre d’un litige opposant un salarié à son ancien employeur.

En l’espèce, un salarié, ayant atteint l’âge de 67 ans, s’est vu notifier la fin de son contrat de travail par son employeur, en application d’une réglementation nationale et d’une convention collective permettant cette rupture automatique. Le salarié avait exercé son activité principalement à temps partiel durant sa carrière, ce qui avait pour conséquence de lui octroyer une pension de retraite d’un montant jugé par lui insuffisant.

Le salarié a contesté cette rupture devant la juridiction nationale, soutenant qu’elle constituait une discrimination illicite fondée sur l’âge, prohibée par la directive 2000/78/CE. La juridiction de renvoi a constaté l’existence d’une différence de traitement directement fondée sur l’âge et a interrogé la Cour de justice sur sa justification. Elle se demandait notamment si une telle mesure pouvait être justifiée en l’absence d’objectifs clairement exprimés dans la loi et si son caractère automatique, sans prise en compte du niveau de la pension de retraite, n’allait pas au-delà de ce qui est nécessaire. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si l’article 6 de la directive 2000/78/CE s’oppose à une réglementation nationale qui autorise la cessation d’un contrat de travail au seul motif que le travailleur a atteint un âge déterminé, sans considération pour le montant de la pension qu’il percevra.

La Cour de justice a répondu que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle mesure nationale, dès lors qu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et du marché du travail, et que les moyens mis en œuvre sont appropriés et nécessaires à sa réalisation. Cette solution réaffirme la validité des clauses d’âge sous le contrôle de leur justification (I), tout en délimitant strictement la prise en compte des situations financières individuelles dans cette appréciation (II).

I. La justification de la clause d’âge au regard des objectifs de politique de l’emploi

La Cour admet la validité d’une clause de mise à la retraite d’office en la soumettant à un contrôle de proportionnalité classique en droit de l’Union. Elle reconnaît ainsi que des objectifs de politique de l’emploi peuvent la justifier (A) et que le mécanisme retenu par l’État membre constitue un moyen adéquat pour les atteindre (B).

A. La reconnaissance d’objectifs légitimes de politique sociale et du marché du travail

La Cour rappelle tout d’abord qu’une différence de traitement fondée sur l’âge n’est pas une discrimination si elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime. En l’espèce, la juridiction de renvoi soulignait que les objectifs poursuivis par la réglementation nationale n’étaient pas explicitement mentionnés dans le texte de loi. La Cour écarte cet argument en jugeant que l’absence de précision dans la loi « n’est toutefois pas déterminante ». Elle admet que « d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière ».

Ainsi, la Cour prend en considération les objectifs avancés par le gouvernement suédois, tels que la facilitation de l’accès des jeunes au marché du travail, la planification des départs et des recrutements, ou encore la volonté d’établir un équilibre entre les intérêts des travailleurs et les politiques sociales. Ces objectifs, liés à la politique de l’emploi et du marché du travail, sont jugés légitimes au sens de l’article 6 de la directive 2000/78. Cette approche pragmatique permet de valider des mesures nationales dont la finalité s’inscrit dans un consensus social et politique, même en l’absence de formalisme dans la loi.

B. L’appréciation du caractère approprié et nécessaire de la mesure

Après avoir validé la légitimité des objectifs, la Cour examine si les moyens mis en œuvre sont « appropriés et nécessaires ». Elle reconnaît aux États membres et aux partenaires sociaux une large marge d’appréciation dans le choix des mesures de politique sociale. Une règle fixant un âge de départ à la retraite, comme la « règle des 67 ans », n’apparaît pas déraisonnable pour atteindre les objectifs visés.

D’une part, la Cour considère la mesure comme appropriée car elle permet de libérer des emplois pour les plus jeunes et d’offrir une prévisibilité tant aux employeurs qu’aux salariés. D’autre part, en fixant l’âge de la retraite à 67 ans, la législation suédoise accorde un « droit inconditionnel de travailler » jusqu’à cet âge, ce qui permet aux salariés d’améliorer leurs futurs droits à pension. Le mécanisme de cessation automatique est donc perçu comme la contrepartie d’une protection contre le licenciement jusqu’à un âge avancé, instaurant un équilibre entre les intérêts en présence. La mesure est donc jugée proportionnée au regard des buts poursuivis.

II. La portée limitée de la prise en compte de la situation financière individuelle

La principale interrogation de la juridiction de renvoi portait sur le caractère indifférencié de la mesure, qui ne tenait pas compte de la faiblesse de la pension de retraite du salarié. La Cour répond à cette préoccupation en affirmant la prévalence du mécanisme général sur l’examen des situations particulières (A), confirmant ainsi la marge d’appréciation des États en matière de politique sociale (B).

A. La prévalence d’un mécanisme général sur l’examen des situations particulières

Le requérant au principal soutenait que le caractère modique de sa pension de retraite justifiait une dérogation à la règle de cessation automatique de son contrat. La Cour rejette cette approche individualisée. Elle estime que la mesure ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts des travailleurs, même si le niveau de la pension n’est pas pris en compte.

La Cour fonde son raisonnement sur plusieurs éléments. Premièrement, le système national prévoit un revenu de substitution, la pension de retraite, même si son montant peut être faible. Deuxièmement, des mécanismes de protection sociale, telle une pension garantie ou des allocations, existent pour les personnes ne bénéficiant que de faibles revenus. Troisièmement, la cessation du contrat de travail n’entraîne pas un retrait définitif du marché du travail, le salarié pouvant conclure un nouveau contrat avec son employeur. La Cour conclut donc que la directive n’exige pas que la loi nationale prévoie une exception pour les travailleurs qui, en raison de leur parcours professionnel, ne percevront qu’une faible pension. Elle affirme que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une mesure nationale « qui ne tient pas compte du niveau de la pension de retraite que percevra l’intéressé ».

B. La confirmation de la marge d’appréciation des États membres en matière de politique sociale

En refusant d’imposer un examen au cas par cas du montant de la pension, la Cour de justice confirme une jurisprudence constante qui accorde une marge d’appréciation considérable aux États membres dans l’organisation de leurs systèmes de sécurité sociale et de leur marché du travail. Cet arrêt s’inscrit dans la lignée des décisions *Palacios de la Villa* et *Rosenbladt*, où la Cour avait déjà admis la validité de clauses de mise à la retraite d’office.

La solution retenue privilégie la sécurité juridique et la prévisibilité d’un système général et automatique. Imposer une évaluation individuelle de la situation financière de chaque salarié avant la mise à la retraite créerait une incertitude considérable pour les employeurs et complexifierait la gestion des ressources humaines. La Cour juge que l’équilibre entre la politique de l’emploi et la protection des travailleurs âgés relève du choix des États membres, pourvu que le cadre général de la directive soit respecté, c’est-à-dire l’existence d’une justification objective et de moyens proportionnés. La portée de cet arrêt est donc de consolider la légitimité des systèmes nationaux de retraite fondés sur un âge butoir, en limitant le contrôle du juge européen à la cohérence globale du dispositif plutôt qu’à ses effets sur des situations individuelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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