La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 5 juillet 2018, une décision fondamentale concernant l’interprétation des règles de compétence judiciaire en matière de pratiques anticoncurrentielles. Un litige opposait une entreprise de transport aérien à un concurrent et à un gestionnaire d’aéroport au sujet de l’application de tarifs prétendument prédateurs. La juridiction de renvoi cherchait à déterminer le tribunal compétent pour connaître d’une action en réparation d’un préjudice économique subi sur un marché spécifique.
Le litige fut porté devant la Cour d’appel de Vilnius qui décida de surseoir à statuer afin de solliciter une interprétation préjudicielle du règlement communautaire. En première instance, les juges avaient initialement décliné leur compétence au profit des juridictions du siège social des défendeurs situés dans un autre État membre. L’appelante soutenait au contraire que le préjudice s’était cristallisé sur le marché national et demandait l’application des règles de compétence spéciale prévues par le droit européen.
La question centrale résidait dans la détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit au sens des dispositions protectrices du marché intérieur de l’Union. La Cour répond que ce lieu vise le marché affecté par les comportements incriminés au sein duquel la victime prétend avoir effectivement subi des pertes financières. L’examen de cette décision commande d’étudier la localisation du dommage économique sur le marché affecté avant d’envisager l’extension de la compétence liée à l’exploitation d’une succursale.
I. La localisation du dommage économique sur le marché affecté
A. L’identification du lieu de matérialisation du préjudice financier
L’article 5, point 3, du règlement n o 44/2001 prévoit une compétence spéciale en faveur du tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit. La Cour de justice précise que cette notion vise « le lieu de la matérialisation d’un manque à gagner consistant en une perte de ventes ». Cette solution privilégie le lieu du marché affecté par les comportements anticoncurrentiels au sein duquel la victime subit directement l’érosion de son activité. Le juge européen considère que ce critère répond aux impératifs de proximité et de bonne administration de la justice entre le tribunal et le litige. L’entreprise lésée peut ainsi agir devant les juridictions de l’État membre où elle déploie ses efforts commerciaux et subit la baisse de son chiffre d’affaires.
B. La détermination alternative du lieu du fait générateur de l’infraction
L’interprétation retenue permet aussi d’assigner l’auteur du dommage devant le tribunal du lieu où l’entente illicite fut conclue ou mise en œuvre concrètement. La jurisprudence affirme que la notion peut être comprise comme « soit le lieu de la conclusion d’un accord anticoncurrentiel », soit celui des prix prédateurs. Cette dualité offre au demandeur une option de compétence entre le siège de la cause du dommage et le lieu de sa réalisation spatiale effective. La règle s’applique indifféremment aux infractions relatives aux ententes ou aux abus de position dominante constatés sur le territoire de l’Union européenne. Cette précision facilite la centralisation du contentieux devant un juge capable d’appréhender globalement la stratégie commerciale illicite mise en place par les entreprises incriminées.
II. L’extension de la compétence liée à l’exploitation d’une succursale
A. L’exigence d’une participation significative de l’établissement secondaire
Le règlement permet d’attraire un défendeur devant le tribunal du lieu d’une succursale pour les contestations relatives à l’exploitation de cette entité économique. La Cour de justice étend cette règle à l’action en indemnisation d’un abus de position dominante dès lors qu’un lien matériel suffisant est établi. L’article 5, point 5, s’applique « lorsqu’une succursale de l’entreprise détenant la position dominante a, d’une manière effective et significative, participé à cette pratique abusive ». Il ne suffit pas d’une simple présence géographique mais il convient de démontrer une implication concrète de l’établissement dans la mise en œuvre. Cette participation effective justifie la compétence du tribunal local pour juger des conséquences d’un comportement abusif orchestré par une société mère étrangère.
B. Une clarification nécessaire de la portée spatiale du droit de la concurrence
L’arrêt renforce la prévisibilité des règles de compétence judiciaire pour les entreprises opérant dans l’espace économique européen face aux risques de pratiques déloyales. La solution consacre l’importance du marché affecté comme critère de rattachement principal pour les actions en dommages et intérêts engagées par les victimes évincées. Les acteurs économiques bénéficient d’une sécurité juridique accrue grâce à la définition précise des différents lieux de rattachement possibles pour leurs recours judiciaires. Cette interprétation assure une protection efficace de la concurrence libre en facilitant l’accès au juge pour les entreprises victimes de stratégies tarifaires abusives. La décision confirme la volonté du législateur européen de favoriser le règlement des litiges transfrontaliers au plus près de la réalité géographique des marchés.