Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juin 2014, n°C-198/12

Par un arrêt rendu par sa cinquième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la portée des obligations incombant aux gestionnaires de réseau de transport de gaz naturel en vertu du règlement n° 715/2009. En l’espèce, la Commission européenne a introduit un recours en manquement à l’encontre d’un État membre. Elle lui reprochait de ne pas avoir assuré que son gestionnaire de réseau de transport offre des services de capacité virtuelle de transport à rebours aux points d’interconnexion transfrontaliers de son réseau gazier. Selon la Commission, une telle offre découlerait implicitement de l’obligation de mettre à la disposition des acteurs du marché la capacité maximale du réseau, conformément aux dispositions du règlement. Après avoir engagé une procédure précontentieuse restée infructueuse, la Commission a saisi la Cour de justice afin de faire constater le manquement. L’État membre mis en cause a d’abord soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant d’une discordance entre l’avis motivé et la requête, exception que la Cour a rejetée au motif que l’objet du litige avait été restreint et non étendu.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si les dispositions des articles 14, paragraphe 1, et 16, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 715/2009 doivent être interprétées comme imposant aux gestionnaires de réseau de transport de gaz l’obligation d’offrir une capacité dite « virtuelle » de transport à rebours.

La Cour de justice rejette le recours de la Commission en répondant par la négative à la question posée. Elle juge qu’aucune obligation d’offrir une capacité virtuelle de transport à rebours de gaz ne peut être déduite des dispositions invoquées. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’en tient à une interprétation stricte du texte, relevant qu’il « ne saurait être procédé, en dépit du libellé clair et précis de dispositions d’un acte législatif de l’Union, à une interprétation visant à les corriger et à élargir par là même les obligations des États membres ». La Cour estime que les notions de « capacité » et de « transport » définies par le règlement renvoient exclusivement à la capacité physique des gazoducs.

La solution de la Cour, fondée sur une lecture littérale et systémique du règlement, établit une distinction claire entre les obligations textuelles des opérateurs et les objectifs plus larges du marché intérieur (I). En conséquence, ce refus de consacrer des obligations implicites réaffirme la primauté du législateur dans la définition des mécanismes de marché, limitant ainsi l’interprétation extensive défendue par la Commission (II).

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**I. La consécration d’une interprétation stricte des obligations du gestionnaire de réseau**

La Cour de justice a rigoureusement examiné le texte du règlement pour conclure que les obligations du gestionnaire de réseau se limitent au cadre physique du transport de gaz. Elle a ainsi rejeté l’idée d’une obligation implicite qui serait déduite des termes du règlement (A), en soulignant que la notion de capacité, au cœur du litige, ne vise que la dimension matérielle du réseau (B).

**A. Le rejet d’une obligation implicite fondée sur une lecture extensive des services d’accès**

La Cour a d’abord analysé l’article 14 du règlement n° 715/2009 pour déterminer si les obligations de non-discrimination et d’offre de services variés pouvaient fonder l’existence d’une capacité virtuelle. Elle constate que cette disposition impose aux gestionnaires « d’offrir des services à l’ensemble des utilisateurs du réseau de façon non discriminatoire » et de proposer « des services d’accès aussi bien fermes qu’interruptibles ». Toutefois, la juridiction estime que ces exigences ne sauraient être interprétées comme la source d’une obligation de créer de nouveaux types de services non prévus par les textes.

En effet, la Cour précise que l’obligation de non-discrimination contraint les gestionnaires à fournir leurs « services existants » sans distinction entre les clients, mais ne les oblige pas à « offrir de nouveaux services ». De même, l’obligation de proposer des services interruptibles n’implique pas que les opérateurs doivent fournir « tout type de services interruptibles », et encore moins spécifiquement une capacité virtuelle de transport à rebours. Par cette analyse, la Cour s’oppose à une lecture qui transformerait des modalités de fourniture de services en une obligation de créer une nouvelle catégorie de prestations.

**B. La primauté de la capacité physique dans l’économie du règlement**

L’argumentation de la Cour se fonde ensuite sur une interprétation systémique de l’article 16, paragraphe 1, qui oblige à mettre à disposition la « capacité maximale ». Pour en définir la portée, la Cour se réfère aux définitions fournies par l’article 2 du même règlement. La « capacité » y est définie comme un « débit maximal » et le « transport » comme le mouvement de gaz via des gazoducs. La Cour en déduit que ces notions se rapportent sans ambiguïté à une réalité physique. Par conséquent, l’expression « capacité maximale » ne peut viser que « la capacité physique de transport des réseaux de transport de gaz, à l’exclusion d’une éventuelle capacité virtuelle ».

La Cour ajoute que les autres conditions posées par l’article 16, paragraphe 1, telles que la prise en compte de « l’intégrité du système » et de « l’exploitation efficace du réseau », ne contredisent pas cette lecture mais la corroborent. L’intégrité du système, définie par rapport à la pression et à la qualité du gaz, est une contrainte purement physique. L’exigence d’exploitation efficace, quant à elle, est analysée comme un « tempérament à l’obligation de mettre à disposition la capacité maximale du réseau, et non un élargissement de celle-ci ». Ainsi, loin d’ouvrir la voie à des capacités immatérielles, ces conditions encadrent l’obligation de fournir la capacité physique existante.

**II. La portée limitée des mécanismes de marché face au silence du législateur**

En rejetant l’interprétation de la Commission, la Cour de justice réaffirme une conception dans laquelle les mécanismes de marché ne peuvent créer d’obligations de capacité en l’absence de base textuelle claire. Elle établit que les règles d’attribution sont subordonnées à la capacité préalablement définie (A), ce qui confirme implicitement la compétence exclusive du législateur pour imposer de nouvelles contraintes aux opérateurs (B).

**A. La subordination des mécanismes d’attribution à la nature de la capacité offerte**

La Commission soutenait que l’obligation d’instaurer une capacité virtuelle découlait également de l’article 16, paragraphe 2, sous b), qui exige la mise en œuvre de « mécanismes non discriminatoires et transparents d’attribution des capacités qui sont compatibles avec les mécanismes du marché ». Elle estimait que le refus d’une capacité virtuelle entraverait le bon fonctionnement des marchés du gaz.

La Cour écarte cet argument en précisant la hiérarchie des normes au sein même de l’article 16. Elle juge que le paragraphe 2 de cet article « régit les mécanismes d’attribution des capacités mises à la disposition des acteurs du marché par les gestionnaires de réseau de transport en vertu de l’article 16, paragraphe 1 ». Dès lors, les modalités d’attribution prévues au paragraphe 2 ne peuvent logiquement pas imposer une obligation de capacité plus étendue que celle définie au paragraphe 1. Puisqu’il a été établi que l’article 16, paragraphe 1, ne vise que la capacité physique, l’article 16, paragraphe 2, ne saurait être interprété comme imposant la création d’une capacité virtuelle. Cette analyse cantonne les mécanismes de marché à un rôle d’organisation de l’existant, sans leur conférer le pouvoir de définir la nature même de l’offre.

**B. La confirmation du rôle exclusif du législateur dans l’extension des obligations**

Enfin, la décision de la Cour trouve un appui décisif dans une interprétation historique et contextuelle du droit de l’Union en matière d’énergie. La Cour note que ni les travaux préparatoires du règlement n° 715/2009 ni ceux du règlement antérieur n° 1775/2005 ne mentionnent une obligation d’offrir une capacité virtuelle de transport à rebours. Ce silence est jugé significatif.

De plus, l’argumentation de l’État membre mis en cause, qui s’appuyait sur l’existence d’une législation postérieure, a implicitement pesé dans le raisonnement. En effet, le règlement n° 994/2010 a, lui, explicitement obligé les États membres à mettre en place une capacité bidirectionnelle physique. Cet exemple démontre que lorsque le législateur de l’Union a souhaité imposer une obligation de flux inversé, il l’a fait de manière claire et non équivoque. En refusant de déduire du règlement n° 715/2009 une obligation que le législateur n’a pas formulée, la Cour renforce la sécurité juridique pour les États membres et les opérateurs. Elle réaffirme ainsi le principe selon lequel l’extension des contraintes pesant sur les acteurs économiques relève de la compétence du législateur et non de l’interprétation judiciaire, même lorsque celle-ci est guidée par les objectifs de réalisation du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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