Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juin 2018, n°C-673/16

Par la décision soumise à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne précise les obligations incombant à un État membre vis-à-vis du conjoint de même sexe d’un de ses ressortissants, lorsque ce dernier revient sur son territoire après avoir exercé sa liberté de circulation. En l’espèce, un citoyen de l’Union avait séjourné de manière effective dans un État membre autre que celui de sa nationalité. Durant ce séjour, il avait consolidé sa vie familiale avec un ressortissant d’un État tiers de même sexe, avec lequel il avait légalement contracté mariage dans cet État membre d’accueil. De retour dans son État membre d’origine, le citoyen de l’Union a sollicité un droit de séjour pour son conjoint, ce que les autorités nationales ont refusé au motif que la législation de cet État ne reconnaissait pas le mariage entre personnes de même sexe. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour de justice a été amenée à interpréter la portée de l’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dans de telles circonstances.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si le droit de l’Union, et plus spécifiquement le droit de tout citoyen de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, s’oppose à ce qu’un État membre refuse d’accorder un droit de séjour au conjoint de même sexe, ressortissant d’un pays tiers, d’un de ses nationaux au motif que son propre droit interne ne prévoit pas une telle union. La Cour de justice répond par l’affirmative, en considérant qu’un tel refus constitue une entrave à l’exercice effectif des droits que le citoyen de l’Union tire de l’article 21 TFUE. Elle affirme que le ressortissant de l’État tiers doit se voir reconnaître un droit de séjour dérivé sur le territoire de l’État membre concerné.

Il conviendra d’analyser la consécration d’un droit de séjour dérivé pour le conjoint de même sexe, fondé sur l’exercice de la citoyenneté européenne (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui articule le respect de l’identité nationale des États membres et la primauté du droit de l’Union (II).

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I. La consécration d’un droit de séjour fondé sur la citoyenneté de l’Union

La Cour de justice fonde sa décision sur le droit primaire de l’Union pour garantir l’effectivité de la liberté de circulation (A), ce qui la conduit à imposer à l’État membre d’origine une obligation de reconnaissance du lien familial aux seules fins de l’octroi du droit de séjour (B).

A. Le droit à la vie familiale comme corollaire de la liberté de circulation

La Cour ancre son raisonnement dans l’article 21, paragraphe 1, du TFUE, qui confère à tout citoyen de l’Union le droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Elle rappelle que les droits conférés aux citoyens de l’Union visent à favoriser leur intégration sociale et économique dans l’État membre d’accueil. Or, la possibilité de mener une vie familiale normale est un facteur essentiel de cette intégration et de l’exercice effectif de ces libertés. La Cour considère que si un citoyen de l’Union, lors de son retour dans son État de nationalité, ne pouvait être accompagné de sa famille proche, légalement constituée dans un autre État membre, il pourrait être dissuadé d’exercer son droit de circulation.

C’est pourquoi la Cour juge que, « dans une situation dans laquelle un citoyen de l’Union a fait usage de sa liberté de circulation », les autorités de son État membre d’origine ne sauraient faire obstacle à sa vie familiale en refusant d’accueillir son conjoint. Le raisonnement ne porte pas sur une reconnaissance abstraite de la validité du mariage, mais sur les conséquences concrètes qu’un refus de séjour entraînerait sur les droits que le citoyen européen tire directement du traité. L’entrave ne réside pas dans le fait de ne pas reconnaître le mariage en tant que tel, mais dans le fait de priver le citoyen de la présence de son conjoint sur le territoire de l’Union à son retour.

B. L’obligation d’octroi d’un droit de séjour dérivé

La Cour tire une conséquence directe de cette analyse en imposant à l’État membre d’origine l’obligation d’accorder un droit de séjour au conjoint. Elle précise que « l’article 21, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes de l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour ». Cette obligation est impérative et découle directement du droit primaire de l’Union. Le statut de « conjoint », acquis légalement dans un État membre, doit donc produire des effets dans un autre État membre, au moins en ce qui concerne l’application des dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation.

De plus, la Cour encadre les modalités de ce droit de séjour en précisant qu’il « ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 7 de la directive 2004/38 ». Ce faisant, elle rattache explicitement la situation du conjoint de même sexe au régime général applicable aux membres de la famille des citoyens de l’Union. L’État membre d’origine conserve la possibilité de vérifier que les conditions matérielles du séjour sont remplies (ressources suffisantes, assurance maladie), mais il ne peut opposer un refus fondé sur la nature du lien matrimonial. La solution garantit ainsi une application uniforme du droit de séjour dérivé, indépendamment des conceptions nationales du mariage.

II. La portée de la solution entre respect des compétences nationales et effectivité du droit de l’Union

La décision de la Cour constitue une avancée notable pour les droits des citoyens de l’Union, tout en veillant à préserver les compétences des États membres en matière de droit de la famille (A). Cette jurisprudence, bien que limitée à des situations spécifiques, étend la notion de membre de la famille au sens du droit de l’Union (B).

A. L’articulation entre le droit de séjour et l’état des personnes

La Cour de justice prend soin de ne pas imposer aux États membres une obligation de prévoir le mariage entre personnes de même sexe dans leur ordre juridique interne. Elle rappelle que le droit de la famille et l’état des personnes relèvent de la compétence des États membres, une compétence que le droit de l’Union respecte. La solution retenue n’oblige donc pas l’État membre d’origine à transcrire le mariage dans ses registres d’état civil. En revanche, elle l’oblige à reconnaître les effets de ce mariage aux seules fins de l’exercice d’un droit conféré par le droit de l’Union : le droit de séjour.

La décision opère ainsi une distinction fondamentale entre la reconnaissance d’un statut personnel au regard du droit interne et la reconnaissance de ce même statut pour garantir l’effectivité d’une liberté fondamentale européenne. Un État membre reste libre de définir le mariage dans son droit national. Cependant, cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union, et notamment de l’article 21 TFUE. Dès lors qu’un refus fondé sur le droit national a pour effet de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation d’un citoyen, la norme européenne doit prévaloir pour la situation spécifique en cause.

B. L’extension de la notion de conjoint et les limites de la solution

En qualifiant de « conjoint » au sens du droit de l’Union une personne unie par les liens d’un mariage homosexuel légalement conclu dans un État membre, la Cour étend la portée de la protection de la vie familiale au-delà des interprétations restrictives de certains États membres. Cette jurisprudence revêt une portée de principe, car elle clarifie que la notion de conjoint, dans le contexte de la directive 2004/38 et de l’article 21 TFUE, doit être interprétée de manière autonome et uniforme dans toute l’Union, indépendamment du sexe des personnes concernées.

Toutefois, la portée de cette solution est circonscrite. Elle ne s’applique qu’aux situations dans lesquelles le citoyen de l’Union a effectivement exercé sa liberté de circulation en séjournant dans un autre État membre. La décision ne concerne donc pas les situations purement internes, c’est-à-dire celles d’un citoyen n’ayant jamais quitté son État membre de nationalité et qui souhaiterait y faire venir un conjoint de même sexe, ressortissant d’un pays tiers. Néanmoins, en garantissant la continuité de la vie familiale lors du retour du citoyen mobile, la Cour renforce substantiellement la valeur et l’attractivité de la citoyenneté de l’Union.

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Hassan KOHEN
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