L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 juin 2019 s’inscrit dans le cadre du contentieux lié à la régulation des nouveaux services de communication. Une société éditrice d’un logiciel de communication proposait une fonctionnalité permettant d’appeler des numéros fixes ou mobiles depuis un terminal connecté à Internet. L’autorité nationale de réglementation a considéré que cette prestation constituait un service de communications électroniques nécessitant une notification préalable obligatoire. Devant le refus de la société, une amende administrative fut infligée, entraînant un recours devant la Cour d’appel de Bruxelles. Cette juridiction a décidé, le 7 février 2018, de surseoir à statuer afin d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de la directive-cadre de 2002.
La société soutenait qu’elle ne transmettait aucun signal elle-même et que la fonctionnalité dépendait de l’accès à Internet fourni par des tiers. Elle arguait également de son absence de responsabilité contractuelle quant à la transmission des signaux dans ses conditions générales. La question posée visait à déterminer si un service de voix sur protocole Internet doit être qualifié de service de communications électroniques. La Cour répond par l’affirmative dès lors que le service donne lieu à rémunération et implique des accords techniques de terminaison d’appel. La reconnaissance de cette qualification repose sur la responsabilité de la transmission, dont la portée confirme l’unité du cadre réglementaire européen.
**I. La caractérisation d’un service de communications électroniques par la responsabilité de la transmission**
*A. La primauté du critère technique et économique de transmission des signaux*
La Cour rappelle que la notion de service de communications électroniques suppose une prestation fournie normalement contre rémunération consistant principalement en la transmission de signaux. Le service litigieux « consiste principalement à transmettre les signaux vocaux émis par l’utilisateur appelant à destination de l’utilisateur appelé sur les réseaux de communications électroniques ». Cette analyse privilégie la réalité de l’opération technique sur l’architecture logicielle globale de l’application concernée. La rémunération, perçue sous forme d’abonnement ou de prépaiement, achève de remplir les conditions posées par la directive pour soumettre l’activité à régulation.
*B. L’indifférence de la propriété des infrastructures de réseau*
Le juge européen confirme sa jurisprudence antérieure en précisant que le défaut de propriété des réseaux n’exclut pas la qualification de service de communications. Il importe seulement que le prestataire soit « responsable envers les utilisateurs finals de la transmission du signal qui garantit à ces derniers la fourniture du service ». Cette responsabilité découle ici des accords conclus avec les opérateurs de télécommunications traditionnels pour assurer la terminaison des appels vers le réseau public. La transmission effective, bien que déléguée techniquement à des tiers, demeure imputable juridiquement à l’éditeur du logiciel vis-à-vis de ses propres clients.
**II. La préservation de l’effet utile du cadre réglementaire commun**
*A. L’inefficacité des clauses d’exonération contractuelle face aux impératifs d’ordre public*
La décision écarte fermement l’argument tiré des conditions générales de vente qui limitaient la responsabilité de l’éditeur quant à l’acheminement des signaux. Une telle clause priverait « de toute portée le nouveau cadre réglementaire applicable » dont l’objectif est d’établir un marché intérieur cohérent des communications. La qualification juridique d’un service d’intérêt général ne saurait dépendre de la volonté unilatérale d’un opérateur privé. Cette solution garantit une protection uniforme des consommateurs, notamment en matière de protection des données et de traitement des litiges.
*B. La consécration d’une approche fonctionnelle favorisant la neutralité technologique*
La Cour souligne que le cumul des qualifications de service de la société de l’information et de service de communications électroniques est parfaitement possible. Un service numérique relève de la directive-cadre dès lors qu’il consiste « entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ». Cette interprétation extensive permet d’éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs historiques et les nouveaux acteurs du secteur numérique. Le droit européen assure ainsi une régulation neutre, indépendante des moyens techniques utilisés pour fournir une prestation de téléphonie vocale identique.