Par un arrêt en date du 5 juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit de la consommation d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, dont les modalités de détermination du montant final prêtaient à discussion. En l’espèce, un consommateur avait souscrit un contrat de prêt auprès d’un établissement financier en vue de l’acquisition d’un véhicule. Ce prêt, bien que remboursable en monnaie nationale, était libellé en devise étrangère. Le montant du prêt en monnaie nationale était spécifié, mais la conversion en devise étrangère, et donc le montant exact de l’emprunt dans cette devise, devait être fixée par le prêteur après la conclusion du contrat, selon le taux de change en vigueur au jour du déblocage des fonds. Ce taux fut communiqué à l’emprunteur dans un document distinct, non signé par ce dernier, plusieurs semaines après la signature du contrat initial.
Suite à des impayés, l’établissement financier a résilié le contrat et a assigné l’emprunteur en paiement des sommes restantes dues. En défense, l’emprunteur a soulevé la nullité du contrat au motif que son objet n’était pas suffisamment déterminé, le taux de change n’ayant pas été précisé dans l’acte synallagmatique initial. La juridiction de renvoi, un tribunal d’arrondissement hongrois, a relevé qu’une décision de la Cour suprême nationale semblait valider une telle pratique. Toutefois, éprouvant des doutes quant à la conformité de cette jurisprudence avec le droit de l’Union, et notamment avec la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives, la juridiction a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle.
Il était ainsi demandé à la Cour si la directive 93/13/CEE s’oppose à une jurisprudence nationale validant un contrat de prêt dont le montant en devise n’est pas déterminé lors de sa conclusion, mais dépend d’un taux de change communiqué ultérieurement par le professionnel. La Cour répond que la directive ne s’y oppose pas, à la condition que la clause organisant ce mécanisme soit rédigée de façon claire et compréhensible. À défaut, pour que le contrat ne soit pas frappé de nullité, il faut que cette clause ne soit pas abusive ou, si elle l’est, que le contrat puisse subsister sans elle.
La solution retenue par la Cour encadre strictement la validité d’un tel contrat en la soumettant à l’exigence de transparence (I), tout en définissant une portée précise au contrôle juridictionnel exercé sur l’équilibre contractuel (II).
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I. L’encadrement de la validité du contrat par l’exigence de transparence
La Cour de justice subordonne la validité des clauses relatives à l’objet principal du contrat, telles que celle fixant le montant du prêt, à une exigence de transparence interprétée de manière extensive (A). Si cette condition n’est pas remplie, elle impose un contrôle subsidiaire portant sur le caractère potentiellement abusif de la clause (B).
A. L’appréciation extensive de l’obligation de transparence
La Cour rappelle que les clauses relatives à l’objet principal du contrat ou à l’adéquation du prix échappent à l’appréciation de leur caractère abusif uniquement si elles sont rédigées de façon claire et compréhensible, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Elle précise que cette exigence doit être entendue de manière large et ne se limite pas à une simple clarté formelle ou grammaticale. Pour être considérée comme transparente, la clause doit permettre au consommateur d’anticiper les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Ainsi, la Cour juge que « le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que, le cas échéant, la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d’autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ». L’information doit donc porter non seulement sur l’existence du mécanisme de conversion, mais aussi sur ses modalités de calcul, afin que le coût total de l’emprunt soit prévisible. Il appartient au juge national de vérifier, au regard de toutes les circonstances, si « un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » disposait des éléments nécessaires pour comprendre les implications de son engagement.
B. Le contrôle subsidiaire du caractère abusif de la clause
Dans l’hypothèse où la clause ne satisferait pas à cette exigence de transparence, le juge national doit alors en examiner le caractère abusif au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Ce contrôle vise à déterminer si, « en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». Le juge doit alors tenir compte de la nature du service, des circonstances entourant la conclusion du contrat et de toutes les autres clauses.
Si le caractère abusif est établi, la clause est réputée non écrite et ne lie pas le consommateur. Cependant, la nullité totale du contrat n’est pas automatique. Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive, le contrat « restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives ». Dans le cas d’une clause définissant le montant même du prêt, qualifiée par la juridiction de renvoi d’élément essentiel, sa suppression rendrait vraisemblablement la survie du contrat juridiquement impossible, ce qu’il revient cependant au juge national d’apprécier.
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II. La portée définie du contrôle juridictionnel sur l’équilibre contractuel
L’arrêt de la Cour de justice définit les contours de l’intervention du juge en refusant d’imposer une sanction automatique par la nullité (A), tout en réaffirmant le rôle central du juge national dans l’appréciation concrète des faits (B).
A. Le refus d’une sanction automatique par la nullité
En ne concluant pas à l’invalidité de principe d’une telle clause, la Cour de justice adopte une position mesurée. Elle écarte une approche radicale qui aurait consisté à frapper de nullité tout contrat dont le montant exact en devise n’est pas arrêté dès sa signature. Cette retenue s’explique par l’objectif de la directive 93/13, qui, comme la Cour le souligne, « vise à rétablir l’équilibre entre les parties, et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives ». La survie du contrat demeure le principe, et sa disparition l’exception.
Cette approche permet de concilier la protection du consommateur avec la sécurité juridique des transactions et le principe de stabilité contractuelle. La sanction n’intervient qu’à l’issue d’un examen en plusieurs étapes, réservant la nullité aux seules situations où la clause est à la fois opaque, abusive et essentielle à la survie du contrat. La Cour offre ainsi une grille d’analyse détaillée plutôt qu’une solution univoque, renforçant la protection du consommateur sans paralyser l’instrument contractuel.
B. La centralité du rôle du juge national dans l’application du droit
La Cour de justice fournit une interprétation des principes, mais confie au juge national la responsabilité de leur mise en œuvre effective. C’est à lui qu’il appartient d’examiner les faits de l’espèce pour déterminer si l’exigence de transparence a été respectée. Cette mission implique une analyse concrète des informations fournies par le professionnel avant la conclusion du contrat, y compris dans la phase de publicité ou de négociation.
Le juge national devient ainsi le garant de l’effectivité de la protection voulue par le droit de l’Union. Il doit se placer dans la perspective du consommateur moyen pour évaluer si les modalités de fixation du taux de change et du montant de l’emprunt étaient suffisamment intelligibles. Cette délégation d’appréciation assure que la protection est adaptée à chaque situation particulière, tout en obligeant les juridictions nationales, y compris les cours suprêmes, à aligner leur jurisprudence sur les standards élevés fixés par le droit européen de la consommation.