Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juin 2025, n°C-292/24

Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction allemande, a interprété les dispositions de la convention de Montréal relative au transport aérien international. En l’espèce, un passager et les personnes l’accompagnant, voyageant sur un vol à destination de Panama, ont constaté à leur arrivée que leurs bagages n’avaient pas été acheminés. Le passager a immédiatement signalé cette absence au transporteur aérien et, quelques jours plus tard, a informé la compagnie par écrit qu’en l’absence de contact de sa part avant une date butoir, des achats de remplacement seraient effectués. Les bagages n’ont été livrés qu’après cette date et postérieurement à l’acquisition desdits équipements.

La demande d’indemnisation du passager, agissant en son nom et pour le compte des autres voyageurs, a été rejetée en première instance par l’Amtsgericht Frankfurt am Main le 30 janvier 2023. Cette juridiction a estimé que le délai de protestation prévu à l’article 31, paragraphe 2, de la convention de Montréal n’avait pas été respecté. Le passager a interjeté appel de ce jugement devant le Landgericht Frankfurt am Main, lequel a décidé de surseoir à statuer. La juridiction d’appel a ainsi interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si la protestation pour retard de bagages doit impérativement être formée dans les vingt et un jours suivant la mise à disposition des bagages, ou si elle peut valablement intervenir avant cette date. La question posée revenait donc à déterminer si le point de départ du délai de réclamation était fixe ou si la formalité pouvait être accomplie par anticipation.

À cette question, la Cour répond que l’article 31, paragraphe 2, seconde phrase, de la convention de Montréal doit être interprété en ce sens qu’une protestation en raison d’un retard dans le transport de bagages peut être effectuée avant la date à laquelle les bagages concernés ont été mis à la disposition de leur destinataire. Cette solution, qui clarifie les modalités d’exercice du droit à réclamation du passager (I), renforce la protection des consommateurs dans le transport aérien international (II).

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I. La validation d’une protestation anticipée

La Cour de justice fonde sa solution sur une analyse combinée des termes de la convention et des objectifs qu’elle poursuit. Elle retient ainsi une interprétation littérale et contextuelle de la disposition litigieuse (A), laquelle est confortée par une approche téléologique visant à préserver l’équilibre des intérêts en présence (B).

A. Une interprétation littérale et contextuelle de la Convention de Montréal

L’analyse de la Cour s’attache en premier lieu au libellé de l’article 31, paragraphe 2, de la convention. Cette disposition énonce qu’« en cas de retard, la protestation devra être faite au plus tard dans les vingt et un jours à dater du jour où le bagage ou la marchandise auront été mis à sa disposition ». En se fondant sur les termes « au plus tard », la Cour observe que la disposition ne fait que fixer une date limite. Elle « ne détermine que le dernier jour du délai au terme duquel il n’est plus possible, en principe, d’effectuer valablement cette protestation ». Par conséquent, le texte n’exclut nullement qu’une telle protestation puisse être réalisée à tout moment avant l’expiration de ce délai, y compris avant sa date de départ théorique.

Cette interprétation textuelle est ensuite replacée dans son contexte. La Cour rappelle que la finalité d’une protestation est d’informer le transporteur de l’existence d’une irrégularité. En cas de retard, il s’agit de lui signaler « l’existence du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de bagages ». Or, ce dommage se matérialise pour le passager dès l’instant où il constate l’absence de ses effets à l’arrivée. L’information du transporteur peut donc logiquement intervenir dès cette prise de conscience, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la résolution, même partielle, de l’incident par la livraison tardive des bagages.

B. Une approche téléologique au service de l’équilibre des intérêts

L’interprétation retenue est également justifiée au regard des objectifs de la convention de Montréal. La Cour rappelle que ce texte vise à assurer « l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation », tout en maintenant un « équilibre équitable des intérêts » entre les passagers et les transporteurs. Une lecture qui imposerait au passager d’attendre la mise à disposition de ses bagages pour protester créerait une contrainte procédurale non justifiée.

De plus, la Cour souligne qu’une protestation précoce sert également les intérêts du transporteur. En étant informé sans délai du retard et du dommage potentiel qui en découle pour le passager, le transporteur est mis en mesure de prendre les dispositions nécessaires. Il peut ainsi tenter de localiser et d’acheminer les bagages plus rapidement pour limiter le préjudice. Il peut également rassembler les éléments qui lui permettraient, le cas échéant, de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant « que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre », comme le prévoit l’article 19 de la convention. L’autorisation d’une protestation anticipée favorise donc une gestion plus efficace et rapide de l’incident par la compagnie aérienne elle-même.

Au-delà de la clarification du sens de la disposition, la décision se distingue par l’appréciation de sa valeur et l’affirmation de sa portée.

II. Le renforcement de la protection des intérêts du passager

En validant la protestation anticipée, la Cour adopte une solution pragmatique qui consolide les droits des voyageurs (A) et dont la portée devrait contribuer à sécuriser le contentieux futur en la matière (B).

A. L’affirmation d’une solution pragmatique et protectrice

La valeur de l’arrêt réside dans son pragmatisme. Exiger d’un passager qu’il attende la livraison de ses bagages pour pouvoir formellement se plaindre d’un retard déjà subi serait contraire à la logique. Le préjudice naît de l’absence des bagages à l’arrivée, et c’est à ce moment que le besoin de réagir est le plus immédiat pour le voyageur. En refusant un formalisme excessif, la Cour évite de dresser un obstacle procédural qui pourrait priver d’indemnisation des passagers de bonne foi. Elle juge en effet qu’une interprétation contraire « porterait atteinte à cet équilibre en soumettant l’accomplissement de la formalité de protestation à une condition supplémentaire non nécessaire ».

Cette solution est éminemment protectrice des intérêts des consommateurs, conformément à l’un des buts principaux de la convention de Montréal. Elle facilite l’exercice de leurs droits en reconnaissant la validité d’une démarche accomplie dès la constatation du manquement du transporteur. Le passager n’est plus contraint par une incertitude quant au moment opportun pour agir, entre l’arrivée sans ses bagages et leur éventuelle restitution. La Cour ancre ainsi le droit d’agir dans la réalité matérielle du préjudice subi par le passager, et non dans un événement futur et par définition incertain qu’est la livraison tardive.

B. La portée d’une clarification bienvenue pour le contentieux futur

En répondant de manière claire à une question précise d’interprétation, cet arrêt a vocation à devenir une décision de principe. Il établit une règle générale et abstraite qui dépasse les seules circonstances de l’espèce. La solution est destinée à s’appliquer à toutes les situations futures où un passager aurait formulé une protestation pour retard avant la mise à disposition effective de ses bagages. La portée de cette décision est donc significative, car elle lève une ambiguïté du texte qui pouvait donner lieu à des interprétations divergentes de la part des juridictions nationales.

Cette clarification apporte une sécurité juridique appréciable tant pour les passagers que pour les transporteurs. Les premiers savent qu’ils peuvent agir sans attendre, tandis que les seconds ne pourront plus opposer une fin de non-recevoir fondée sur le caractère prétendument prématuré de la réclamation. En définitive, cette décision s’inscrit pleinement dans la jurisprudence de la Cour qui tend à interpréter la convention de Montréal de manière à garantir son effet utile et à assurer un niveau élevé de protection aux usagers du transport aérien, tout en veillant à ne pas imposer de charges déraisonnables aux compagnies aériennes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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