La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 5 juin 2025, précise les conditions temporelles de la protestation en cas de retard de bagages. Un passager et ses accompagnants ont constaté l’absence de leurs effets personnels à l’arrivée d’un vol international après une escale en Europe. Le voyageur a immédiatement déclaré cet incident auprès du service compétent et a formulé une demande de contact personnel avant de procéder à des achats de remplacement. Les bagages ont finalement été livrés cinq jours après le vol, mais la demande de remboursement des frais engagés a été initialement rejetée. L’Amtsgericht Frankfurt am Main, dans une décision du 30 janvier 2023, a estimé que le délai de protestation de vingt-et-un jours n’avait pas été respecté. Saisi en appel, le Landgericht Frankfurt am Main a décidé le 2 janvier 2024 de solliciter une interprétation des règles internationales relatives à la responsabilité des transporteurs.
La question posée à la juridiction européenne porte sur la nature du délai de forclusion prévu à l’article 31, paragraphe 2, de la convention de Montréal. Le juge national cherche à savoir si la protestation doit obligatoirement suivre la récupération des bagages ou si elle peut intervenir dès la constatation du retard. La Cour de justice affirme qu’une protestation peut être valablement effectuée avant la date à laquelle les bagages concernés sont mis à la disposition de leur destinataire. Cette solution repose sur une analyse téléologique visant à protéger les intérêts des consommateurs tout en préservant la sécurité juridique nécessaire aux compagnies aériennes. L’étude de cette interprétation libérale du texte conventionnel permet d’en apprécier ensuite les conséquences sur l’équilibre du régime de responsabilité du transporteur.
I. La reconnaissance d’une faculté de protestation anticipée
A. Une lecture littérale conforme aux intérêts du passager
La Cour observe que les dispositions conventionnelles fixent uniquement le terme ultime du délai pour agir contre le transporteur en cas de livraison tardive. Le texte ne détermine que « le dernier jour du délai au terme duquel il n’est plus possible, en principe, d’effectuer valablement cette protestation ». L’interprétation littérale suggère qu’une réclamation peut être « effectuée à n’importe quel moment entre la constatation d’un retard dans la livraison et l’expiration de ce délai ». Imposer au voyageur d’attendre la remise effective de ses biens constituerait une contrainte inutile alors que le manquement contractuel est déjà manifestement établi. Cette souplesse procédurale garantit que le consommateur ne soit pas privé de ses droits par une lecture trop rigide des formalités imposées par le traité.
B. La finalité informative de la protestation en cas de retard
Le but premier de la démarche entreprise par le passager est d’informer la compagnie de la mauvaise exécution du contrat de transport aérien. La protestation vise spécifiquement à signaler au transporteur « l’existence du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de bagages ou de marchandises ». Dès lors que l’absence des valises est constatée à l’atterrissage, l’information pertinente peut être transmise immédiatement sans attendre la régularisation de la situation. Cette transmission précoce de l’alerte permet de figer les prétentions du voyageur et de limiter l’aggravation du préjudice lié à l’indisponibilité des effets personnels. La reconnaissance de cette faculté de signalement immédiat renforce l’efficacité du dispositif de protection des usagers sans nuire à la clarté des échanges.
II. La consolidation de l’équilibre du régime de responsabilité
A. La facilitation de l’administration de la preuve par la compagnie
L’anticipation de la protestation par le destinataire sert paradoxalement les intérêts du transporteur en lui permettant de réagir promptement à l’incident de livraison. Cette communication précoce permet à la compagnie de « rassembler le plus rapidement possible les éléments nécessaires en vue de pouvoir apporter » une preuve d’exonération. Le transporteur peut ainsi démontrer plus facilement qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter le dommage conformément aux exigences de la convention. Une information rapide favorise une instruction efficace des causes du retard et permet de limiter les conséquences financières pour l’ensemble des acteurs concernés. La solution retenue par les juges européens participe donc à une gestion diligente des litiges en favorisant la transparence dès la survenance du retard.
B. La préservation de l’équité dans le transport aérien international
L’arrêt consacre la volonté d’assurer un « équilibre équitable des intérêts » entre les transporteurs aériens et les passagers conformément aux objectifs du droit européen. Exclure la possibilité d’une protestation anticipée reviendrait à soumettre l’action des voyageurs à une « condition supplémentaire non nécessaire » et dépourvue de fondement textuel. Un tel formalisme porterait atteinte au principe de réparation intégrale et à la nécessité d’une protection uniforme des consommateurs dans l’espace aérien commun. La Cour confirme ici que la célérité de la réclamation est un gage de bonne foi qui profite à la stabilité globale du système de responsabilité. Cette décision assure une sécurité juridique bienvenue en harmonisant les pratiques nationales relatives à la recevabilité des recours contre les manquements des transporteurs.