Cour de justice de l’Union européenne, le 5 juin 2025, n°C-543/24

Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les obligations des pouvoirs publics en matière de délais de paiement dans les transactions commerciales. En l’espèce, une institution de l’Union avait engagé une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à cet État de ne pas garantir le respect effectif des délais de paiement imposés par la directive 2011/7/UE. Le manquement visait spécifiquement des retards imputables à son gouvernement fédéral en 2021, à l’une de ses régions en 2020 et de 2022 à 2025, ainsi qu’à une autre région durant le premier semestre de 2022. La procédure soulevait donc la question de savoir si des retards de paiement récurrents, émanant de différentes autorités publiques, suffisent à caractériser un manquement structurel d’un État membre à ses obligations européennes. La Cour y répond par l’affirmative, en déclarant que « le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette disposition » pour les faits reprochés. Toutefois, la Cour a rejeté le surplus des demandes et décidé que chaque partie supporterait ses propres dépens, signifiant un succès partiel de l’action.

I. La consécration d’un manquement étatique structurel au respect des délais de paiement

La décision de la Cour établit clairement que des défaillances répétées en matière de délais de paiement par diverses entités publiques constituent une violation des obligations de l’État membre (A). Néanmoins, la condamnation prononcée reste précisément circonscrite aux seuls griefs que l’institution de l’Union est parvenue à démontrer de manière factuelle (B).

A. La caractérisation du manquement par l’observation de retards systémiques

La Cour constate que les retards de paiement du gouvernement fédéral, de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale ne sont pas de simples incidents isolés. En visant des périodes précises et des entités distinctes, le recours met en évidence un problème systémique qui affecte l’ensemble de l’État. La directive 2011/7/UE impose une obligation de résultat, forçant les pouvoirs publics à payer leurs fournisseurs dans un délai de trente jours, sauf exception. En ne veillant pas à ce que ses différentes composantes respectent cette règle impérative, l’État membre dans son ensemble est jugé défaillant.

Le raisonnement de la Cour ne s’attache pas à l’autonomie de chaque entité, mais à la responsabilité globale de l’État sur la scène européenne. La persistance des retards sur plusieurs années et à différents niveaux de pouvoir démontre une incapacité structurelle à se conformer aux exigences du droit de l’Union. C’est bien cette nature généralisée et récurrente du problème qui fonde la condamnation. La décision réaffirme que la directive a pour but de lutter efficacement contre la culture du retard de paiement, particulièrement préjudiciable pour la trésorerie des entreprises.

B. La portée délimitée de la condamnation

Si le manquement est reconnu, la Cour prend soin de limiter sa condamnation aux seuls faits précisément établis. La formule « en ne veillant pas à ce que […] respectent de manière effective les délais de paiement » cible exclusivement les entités et les périodes mentionnées. Le fait que le recours soit « rejeté pour le surplus » indique que l’institution plaignante n’a pas apporté de preuves suffisantes pour d’autres périodes ou d’autres entités publiques. Cette rigueur illustre le contrôle juridictionnel strict opéré par la Cour, qui n’entend pas prononcer de condamnation de principe générale.

Cette approche pragmatique se reflète également dans la décision sur les dépens. En laissant chaque partie supporter ses propres frais, la Cour reconnaît implicitement que l’action n’a que partiellement abouti. L’État membre est sanctionné, mais seulement dans les limites strictes de ce qui a été prouvé. La décision sert donc d’avertissement ciblé, invitant l’État à corriger les défaillances identifiées sans pour autant le discréditer dans son ensemble sur cette politique. La charge de la preuve d’un manquement demeure donc entièrement sur l’institution qui engage le recours.

II. La portée de l’arrêt : rappel de la discipline économique et de la responsabilité unitaire de l’État

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt renforce la protection accordée aux créanciers des administrations publiques, conformément à l’objectif de la directive (A). Il constitue également une réaffirmation claire du principe selon lequel l’organisation interne d’un État membre ne saurait faire obstacle au respect de ses engagements européens (B).

A. Le renforcement de la protection des créanciers des pouvoirs publics

Cette décision revêt une importance particulière pour le tissu économique, notamment pour les petites et moyennes entreprises qui sont les premières victimes des retards de paiement du secteur public. En condamnant un État membre pour manquement structurel, la Cour envoie un signal fort à toutes les administrations nationales et régionales de l’Union. Elle rappelle que les règles fixées par la directive 2011/7/UE ne sont pas de simples recommandations, mais des obligations juridiques contraignantes visant à instaurer une discipline de paiement.

La valeur de l’arrêt réside ainsi dans sa contribution à un environnement économique plus sain et plus équitable. Il dissuade les pouvoirs publics de faire peser sur leurs fournisseurs des contraintes de trésorerie anormales. En assurant l’effectivité de la directive, la Cour de justice joue son rôle de gardienne de l’intégrité du marché intérieur. Elle garantit que les transactions commerciales avec le secteur public s’effectuent dans un cadre de confiance et de sécurité juridique, ce qui est essentiel à la compétitivité des entreprises.

B. L’indifférence de l’organisation interne de l’État membre

La portée de l’arrêt est considérable pour les États à structure fédérale ou fortement décentralisée. La Cour réitère un principe fondamental du droit de l’Union : un État membre ne peut se prévaloir des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations découlant du droit de l’Union. En l’espèce, peu importe que les manquements proviennent du gouvernement fédéral ou des gouvernements régionaux ; l’État membre est le seul responsable vis-à-vis de l’Union.

Cette solution classique confirme l’unité de l’État sur la scène internationale et européenne. Elle contraint les États fédéraux à mettre en place des mécanismes de coordination et de contrôle internes efficaces pour assurer une application homogène du droit de l’Union sur tout leur territoire. L’arrêt constitue donc un rappel à l’ordre, soulignant que l’architecture constitutionnelle d’un pays ne saurait éroder la primauté et l’effectivité du droit européen. Chaque État doit garantir le résultat prescrit par une directive, quelle que soit la répartition des compétences entre ses différentes entités.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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