Cour de justice de l’Union européenne, le 5 mai 2011, n°C-267/09

Par un arrêt du 5 mai 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut imposer la désignation d’un représentant fiscal aux contribuables non-résidents. Saisie d’un recours en manquement par l’organe exécutif de l’Union, la Cour a examiné la compatibilité d’une législation nationale avec la libre circulation des capitaux. Cette législation imposait aux non-résidents percevant certains revenus sur le territoire national de nommer un représentant fiscal local pour garantir le respect de leurs obligations déclaratives. L’organe exécutif soutenait que cette mesure constituait une restriction injustifiée et disproportionnée à la libre circulation des capitaux, garantie tant par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que par l’accord sur l’Espace économique européen. L’État membre défendeur, soutenu par un autre État en intervention, arguait que cette obligation était justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, notamment la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre l’évasion fiscale. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si une telle obligation de représentation fiscale constitue une entrave prohibée à la libre circulation des capitaux, et si sa justification peut être appréciée différemment selon que le contribuable réside dans un autre État membre de l’Union ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen mais non membre de l’Union. La Cour a répondu en opérant une distinction fondamentale : l’obligation est une restriction disproportionnée et donc contraire au droit de l’Union pour les résidents d’un autre État membre, mais elle est justifiée et conforme pour les résidents des États de l’Espace économique européen non membres de l’Union.

L’analyse de la Cour conduit ainsi à une censure de la mesure dans le cadre strict du marché intérieur, en raison de l’existence d’instruments de coopération suffisants (I), tout en validant cette même mesure dans les relations avec certains États tiers, marquant ainsi les limites de l’intégration juridique différenciée (II).

I. La censure de l’obligation de représentation fiscale au sein du marché intérieur

La Cour retient une interprétation extensive de la notion de restriction à la libre circulation des capitaux (A), ce qui la conduit à exercer un contrôle de proportionnalité strict de la mesure, la jugeant injustifiée au regard des mécanismes de coopération existants entre les États membres (B).

A. La qualification de restriction à la libre circulation des capitaux

La Cour établit sans équivoque que l’obligation imposée aux non-résidents de désigner un représentant fiscal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Elle considère que de telles contraintes, en imposant des démarches administratives supplémentaires et en engendrant des coûts liés à la rémunération de ce représentant, sont de nature à dissuader les investissements transfrontaliers. Ce faisant, la mesure entrave l’accès des non-résidents au marché national, notamment pour des investissements immobiliers. Le raisonnement de la Cour s’inscrit dans une jurisprudence établie qui interprète largement l’article 56 du traité CE (devenu l’article 63 TFUE), en considérant comme une restriction toute mesure nationale susceptible de décourager les non-résidents d’effectuer des investissements dans un État membre. La seule existence d’une charge administrative et financière additionnelle pour les opérateurs non-résidents suffit à caractériser l’entrave, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une discrimination formelle.

B. Le caractère disproportionné de la mesure au regard des instruments d’assistance mutuelle

Après avoir qualifié la mesure de restrictive, la Cour examine sa justification au nom de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Si elle reconnaît la légitimité de cet objectif, elle en contrôle rigoureusement la proportionnalité. La Cour rappelle qu’une justification tirée de la lutte contre la fraude fiscale « ne saurait être admise que si elle vise des montages purement artificiels dont le but est de contourner la loi fiscale, ce qui exclut toute présomption générale de fraude ». Or, la législation en cause instaure une telle présomption générale à l’encontre de tous les contribuables non-résidents. La Cour estime surtout que l’obligation de désignation d’un représentant fiscal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, car l’État membre dispose d’autres moyens moins contraignants. Elle met en avant l’existence de la directive 77/799/CEE concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres. Cet instrument permet un échange d’informations suffisant pour assurer le contrôle et le recouvrement de l’impôt, rendant l’exigence d’un représentant local excessive pour les contribuables résidant dans un autre État membre.

Si la solution est claire pour les résidents de l’Union, elle s’inverse lorsque la Cour se penche sur la situation des résidents des autres États de l’Espace économique européen.

II. La validation de l’obligation de représentation fiscale dans les relations avec l’Espace économique européen

La Cour reconnaît l’autonomie du cadre juridique régissant les relations avec les États de l’Espace économique européen (A), ce qui la conduit à valider la restriction en raison de l’absence d’instruments de coopération équivalents à ceux existant au sein de l’Union (B).

A. L’autonomie du contexte juridique de l’Espace économique européen

La Cour commence par rappeler le principe d’interprétation homogène des règles de l’accord EEE qui sont identiques en substance à celles du droit de l’Union. L’article 40 de l’accord EEE, qui interdit les restrictions à la circulation des capitaux, a donc une portée juridique identique à celle de l’article 56 du traité CE. Par conséquent, l’obligation de désignation d’un représentant fiscal constitue également une restriction au sens de l’accord EEE. Cependant, la Cour opère une dissociation fondamentale dans l’analyse de la justification de cette restriction. Elle juge que « la jurisprudence relative aux restrictions à l’exercice des libertés de circulation au sein de l’Union ne saurait être intégralement transposée aux mouvements de capitaux entre les États membres et les États tiers, de tels mouvements s’inscrivant dans un contexte juridique différent ». Cette distinction souligne que l’homogénéité des règles n’implique pas une identité parfaite des conditions de leur application, le degré d’intégration et les instruments disponibles variant entre les deux espaces.

B. La justification de la restriction par l’absence d’instruments de coopération suffisants

Le raisonnement de la Cour repose sur une constatation pragmatique : les mécanismes de coopération qui rendent la mesure disproportionnée dans le cadre de l’Union n’existent pas avec la même efficacité dans les relations avec les États de l’EEE non membres de l’Union. Plus précisément, le cadre de coopération établi par la directive 77/799/CEE n’est pas applicable entre un État membre et un État tiers à l’Union, même s’il est partie à l’accord EEE. La Cour relève que l’organe exécutif de l’Union n’a pas démontré que les conventions fiscales bilatérales existantes offraient des mécanismes d’assistance mutuelle aussi poussés et contraignants que ceux prévus par la directive. En l’absence d’un tel cadre d’assistance mutuelle, l’obligation de désigner un représentant fiscal n’apparaît plus comme excessive. Elle devient, aux yeux de la Cour, une mesure nécessaire et proportionnée pour permettre à l’État membre d’assurer l’efficacité de ses contrôles fiscaux et de lutter contre l’évasion fiscale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture