Cour de justice de l’Union européenne, le 5 mai 2022, n°C-567/20

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 5 mai 2022, une décision précisant l’articulation entre la protection des consommateurs et les interventions législatives nationales. Le litige portait sur la restitution de sommes perçues indûment en vertu de clauses abusives insérées dans un contrat de prêt immobilier libellé en devises étrangères. Un établissement de crédit et un particulier avaient conclu ce contrat en 2007, avant l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union européenne. À la suite d’une réforme législative intervenue en 2015, les parties ont signé un avenant convertissant le prêt initial en euros selon des modalités impératives. Le consommateur a ultérieurement saisi les juridictions nationales afin de voir déclarer nulles les clauses initiales et d’obtenir le remboursement intégral des sommes versées. Le tribunal municipal civil de Zagreb a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993. La question posée visait à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale empêchant la restitution totale des avantages lorsque le contrat a été modifié. La Cour répond que l’article 1, paragraphe 2, de la directive exclut de son champ d’application les clauses reflétant des dispositions législatives ou réglementaires impératives. L’étude de cette décision impose d’analyser l’exclusion du champ d’application matériel de la directive (I) avant d’apprécier les limites apportées au contrôle judiciaire de la protection du consommateur (II).

I. L’exclusion du champ d’application matériel de la directive

A. Le caractère impératif de la source législative de l’avenant

La juridiction européenne rappelle que les clauses contractuelles reflétant des dispositions législatives ou réglementaires impératives ne sont pas soumises aux dispositions protectrices de la directive du 5 avril 1993. Cette exclusion se justifie par la présomption que « le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats ». En l’espèce, la loi nationale de 2015 imposait aux professionnels de proposer une conversion du crédit selon une méthodologie de calcul strictement prédéfinie par le législateur. La Cour souligne que l’autonomie de la volonté des parties était limitée par cette norme nationale qui visait à remédier aux déséquilibres des contrats initiaux.

B. L’indifférence du consentement du consommateur à la modification contractuelle

La décision précise que la faculté pour le consommateur de refuser la conversion n’altère pas la nature impérative des dispositions législatives reflétées dans l’accord. La simple exigence d’un accord de la part de l’emprunteur n’empêche pas de considérer que les clauses de l’avenant « reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ». Dès lors que le contenu de la modification contractuelle est entièrement déterminé par la loi, le juge ne peut plus exercer son contrôle sur le caractère abusif. Cette solution limite drastiquement la portée du contrôle judiciaire sur les accords de conversion qui découlent directement d’une volonté de régulation législative globale.

L’exclusion matérielle de la protection européenne repose sur une répartition stricte des compétences que la Cour de justice de l’Union européenne délimite également sur le plan temporel.

II. Les limites du contrôle judiciaire et de la protection du consommateur

A. La restriction de la compétence temporelle liée à l’adhésion

La Cour affirme sa compétence pour interpréter le droit de l’Union uniquement à partir de la date d’adhésion de l’État membre à l’Union européenne. Elle écarte toute application de la directive au contrat initial conclu en 2007, car le respect de ces exigences n’est devenu obligatoire qu’en 2013. Le juge européen précise que l’éventuelle obligation de restitution fondée sur le contrat d’origine « ne saurait être régie par les dispositions de cette directive ». Seul l’avenant conclu postérieurement à l’adhésion entre dans le champ d’application temporel de la protection européenne, sous réserve toutefois de son exclusion matérielle.

B. La présomption d’équilibre législatif au détriment de la restitution intégrale

La décision consacre la prévalence de l’équilibre général instauré par le législateur national sur le droit individuel à la restitution intégrale des avantages perçus par le professionnel. L’article 1, paragraphe 2, de la directive est interprété de façon à valider les clauses issues d’un accord de conversion dont le contenu est légalement prescrit. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question relative à la possibilité pour le juge national d’écarter l’application de la loi. Cette position confirme que l’intervention législative peut légitimement restreindre l’étendue de la protection juridictionnelle initialement offerte par le cadre juridique européen au profit d’une stabilité collective.

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Hassan KOHEN
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