Cour de justice de l’Union européenne, le 5 mars 2009, n°C-88/07

Par un arrêt de manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a sanctionné un État membre pour avoir entravé la libre circulation des marchandises. En l’espèce, une pratique administrative nationale consistait à retirer du marché des produits à base de plantes médicinales, légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres. Ce retrait intervenait au motif que ces produits étaient considérés comme des médicaments et ne disposaient pas d’une autorisation de mise sur le marché. La Commission européenne, gardienne des traités, a engagé un recours en manquement contre cet État, estimant que cette pratique violait les règles du marché intérieur. La question juridique posée à la Cour était donc de savoir si un État membre peut, de manière systématique, assimiler à des médicaments des produits à base de plantes légalement vendus dans l’Union et en interdire la commercialisation sans procéder à un examen au cas par cas. La Cour a jugé que cette pratique administrative constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, prohibée par le traité, et que l’État membre avait également manqué à son obligation de notifier de telles mesures nationales à la Commission.

La solution retenue par la Cour réaffirme avec fermeté l’exigence de proportionnalité dans la protection de la santé publique face au principe de libre circulation (I). Elle souligne également l’importance de la coopération loyale entre les États membres et les institutions de l’Union, sanctionnant un manquement à l’obligation de transparence (II).

I. La consolidation du principe de libre circulation face à une protection sanitaire disproportionnée

L’arrêt rappelle que la protection de la santé publique, bien que légitime, ne saurait justifier des mesures nationales automatiques et générales. La Cour qualifie d’abord la pratique litigieuse de mesure d’effet équivalent (A), avant de rejeter toute justification fondée sur la protection de la santé publique en raison du caractère disproportionné de la mesure (B).

A. La qualification d’entrave aux échanges intracommunautaires

La Cour considère que la pratique administrative consistant à « retirer du marché tout produit contenant des plantes médicinales qui ne sont incluses ni dans l’annexe de l’arrêté ministériel […] ni dans l’annexe de l’arrêté sco/190/2004 » constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation. En effet, en soumettant les produits légalement commercialisés dans un autre État membre à une exigence de présence sur des listes nationales, sous peine de les requalifier en médicaments nécessitant une autorisation, l’État membre instaure une barrière non tarifaire. Une telle mesure rend l’accès au marché national plus difficile, voire impossible, pour les opérateurs des autres États membres et décourage ainsi les échanges. Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante depuis l’arrêt de principe Dassonville, selon laquelle toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d’effet équivalent.

B. L’absence d’une justification proportionnée

Une mesure restrictive peut exceptionnellement être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection de la santé et de la vie des personnes, conformément à l’article 30 du traité CE (devenu article 36 TFUE). Toutefois, la jurisprudence exige que la mesure nationale soit nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. En l’espèce, la Cour constate que l’interdiction de commercialisation est appliquée de manière systématique, sans évaluation individualisée des risques que chaque produit pourrait présenter pour la santé publique. En se fondant exclusivement sur des listes préétablies, l’administration nationale ne procède pas à une analyse au cas par cas, seule à même de démontrer la dangerosité réelle d’un produit. Une telle approche générale et abstraite est jugée disproportionnée, car des mesures moins restrictives pour les échanges, comme un étiquetage approprié ou des recommandations de consommation, pourraient permettre d’atteindre le même niveau de protection sanitaire.

La Cour sanctionne ainsi une politique de précaution qui, par sa généralité, se transforme en protectionnisme déguisé. Cette décision illustre la défiance de la Cour envers les réglementations nationales qui érigent des barrières préventives sans se fonder sur une analyse scientifique circonstanciée, renforçant par là même le principe de reconnaissance mutuelle.

II. La sanction d’un défaut de coopération loyale et de transparence

Au-delà de la violation matérielle du principe de libre circulation, la Cour condamne également un manquement procédural de l’État membre. Cette condamnation porte sur le non-respect de l’obligation d’information (A), ce qui fragilise le principe de confiance mutuelle au sein du marché intérieur (B).

A. Le manquement à l’obligation de notification

La Cour constate que l’État membre a failli à son devoir de communiquer à la Commission les mesures nationales dérogeant au principe de libre circulation des marchandises, en violation de la décision n° 3052/95/CE. Cette procédure d’information mutuelle a pour objet de permettre à la Commission et aux autres États membres d’examiner la compatibilité des mesures nationales restrictives avec le droit de l’Union avant qu’elles ne produisent des effets préjudiciables. En s’abstenant de notifier sa pratique administrative, l’État membre a privé la Commission de sa prérogative de contrôle et a empêché un dialogue en amont qui aurait pu éviter le contentieux. La sanction de ce manquement formel n’est pas anecdotique : elle vise à garantir l’effectivité du droit de l’Union et à prévenir la multiplication d’obstacles dissimulés aux échanges.

B. L’atteinte au principe de confiance mutuelle

Le respect des procédures de notification est essentiel au bon fonctionnement du marché intérieur, car il repose sur un principe de confiance mutuelle entre les États membres. Chaque État doit pouvoir présumer que les produits légalement commercialisés sur le territoire d’un autre État sont conformes aux exigences fondamentales de sécurité et de protection de la santé. En instaurant une pratique administrative opaque et non notifiée, l’État défendeur a porté atteinte à cette confiance. La décision de la Cour rappelle que la construction européenne ne se limite pas au respect des règles de fond, mais implique également une adhésion sincère aux mécanismes de coopération qui en assurent la pérennité. Le manquement procédural est ainsi considéré comme une faute à part entière, car il mine les fondements mêmes de l’intégration économique et juridique voulue par les traités.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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