Cour de justice de l’Union européenne, le 5 mars 2015, n°C-667/13

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction portugaise, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la validité d’une décision de la Commission européenne déclarant une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. En l’espèce, un État membre avait octroyé une garantie à un établissement financier en difficulté afin de couvrir un prêt destiné au remboursement de ses créanciers. La Commission avait initialement approuvé cette mesure pour une durée de six mois, sous la condition suspensive de la présentation d’un plan de restructuration de l’établissement bénéficiaire. L’État membre n’ayant pas soumis ledit plan dans le délai imparti, et ayant prolongé la garantie sans notification, la Commission a finalement adopté une décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur. Saisie dans le cadre de la procédure de liquidation de l’établissement financier, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la validité de cette décision finale, soulevant des doutes quant à sa motivation, sa cohérence et le bien-fondé de l’appréciation de la Commission. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si une décision de la Commission déclarant une aide d’État incompatible est entachée d’invalidité au motif qu’elle serait insuffisamment motivée, contradictoire, ou fondée sur une appréciation erronée des conditions posées par l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour de justice a conclu que l’examen des questions posées n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision de la Commission. Il convient d’analyser la validation par la Cour du raisonnement formel de la Commission (I), avant d’examiner la confirmation de l’appréciation substantielle de l’aide qu’elle a opérée (II).

I. La validation par la Cour du raisonnement formel de la Commission

La Cour a d’abord écarté les arguments visant à remettre en cause la recevabilité du renvoi préjudiciel avant de confirmer la cohérence de la motivation de la décision litigieuse.

A. Sur la recevabilité de la remise en cause de la décision

L’État membre concerné soutenait que les questions relatives à la validité de la décision étaient irrecevables, au motif que le bénéficiaire de l’aide, n’ayant pas formé de recours en annulation dans les délais, ne pouvait plus en contester la légalité devant les juridictions nationales. Cet argument se fondait sur la jurisprudence établie par l’arrêt *TWD Textilwerke Deggendorf*, qui empêche un justiciable de contourner le caractère définitif d’une décision de l’Union en s’abstenant de l’attaquer directement pour ensuite en exciper l’illégalité devant son juge national. La Cour écarte cependant cette objection en relevant que la situation d’espèce se distingue de celle de l’affaire précitée. Elle constate que le bénéficiaire de l’aide avait bien introduit, dans le délai imparti, un recours en annulation contre la décision devant le Tribunal de l’Union. Par conséquent, il ne pouvait lui être reproché de chercher à « contourner le caractère définitif » de l’acte. La Cour ajoute que l’irrecevabilité tirée de cette jurisprudence ne s’applique qu’à la partie qui aurait pu et dû agir mais s’en est abstenue, et non à l’État membre qui, dans la procédure nationale, ne contestait pas lui-même la légalité de la décision.

B. Sur la cohérence de la motivation de la décision

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur une contradiction supposée dans les motifs de la décision, qui qualifiait l’aide d’illégale à compter du 6 juin 2009 mais d’incompatible dès le 5 décembre 2008. La Cour lève toute ambiguïté en rappelant la distinction fondamentale entre l’illégalité d’une aide et son incompatibilité. L’illégalité résulte de la méconnaissance par l’État membre de son obligation de notification et de suspension de la mise à exécution de l’aide, prévue à l’article 108, paragraphe 3, du Traité. L’incompatibilité, quant à elle, relève de l’examen au fond de la mesure au regard des critères de l’article 107 du Traité. La Cour juge ainsi que le fait que la décision « mentionne des dates différentes à partir desquelles l’aide d’État doit être considérée comme illégale, d’une part, et incompatible avec le marché intérieur, d’autre part, ne révèle aucune contradiction dans les motifs qui la sous-tendent ». De plus, la Cour estime que la décision était suffisamment motivée quant au changement d’appréciation de la Commission, qui avait d’abord autorisé l’aide à titre provisoire. Elle rappelle que l’approbation initiale était expressément conditionnée à des engagements précis, notamment la soumission d’un plan de restructuration. Le non-respect de ces engagements justifiait pleinement la conclusion finale d’incompatibilité de l’aide.

II. La confirmation par la Cour de l’appréciation substantielle de l’aide

Après avoir validé la régularité formelle de la décision, la Cour confirme le bien-fondé de l’analyse de la Commission tant sur l’affectation des échanges que sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur.

A. L’appréciation de l’affectation des échanges entre États membres

La juridiction de renvoi doutait que l’aide ait pu affecter les échanges entre États, dès lors que l’établissement financier avait cessé son activité. La Cour rappelle avec constance que pour qualifier une mesure d’aide d’État, « la Commission n’est pas tenue de démontrer qu’une mesure étatique a une incidence réelle sur ces échanges », mais seulement qu’elle « est susceptible de produire de tels effets ». En l’espèce, la garantie a renforcé la position de son bénéficiaire par rapport à ses concurrents, dans un secteur bancaire largement ouvert à la concurrence au niveau de l’Union. Cet avantage était donc de nature à affecter les échanges. Quant à la cessation d’activité, la Cour relève qu’elle n’était pas définitive, l’établissement ayant pu reprendre son activité jusqu’au retrait de sa licence bancaire. Le risque de distorsion de concurrence a donc bien subsisté pendant la période examinée par la Commission.

B. L’appréciation de la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur

La juridiction de renvoi se demandait si l’aide, destinée à remédier à une perturbation grave de l’économie, n’aurait pas dû être déclarée compatible en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), du Traité. La Cour rappelle que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, dont l’exercice est encadré par ses propres communications, en l’occurrence la communication bancaire adoptée dans le contexte de la crise financière. Or, cette communication subordonne la compatibilité des garanties d’État à des conditions strictes, notamment leur caractère temporaire et la présentation d’un plan de restructuration ou de liquidation. La Cour juge que ces exigences ne sont pas de simples formalités. Au contraire, elles « constituent non pas de simples formalités, mais des conditions nécessaires pour que cette aide puisse être déclarée compatible avec le marché intérieur et des instruments destinés à garantir que l’aide d’urgence accordée à une entreprise en difficulté n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire ». Le non-respect de ces conditions de fond par l’État membre justifiait donc que la Commission conclue à l’incompatibilité de l’aide, sans qu’il soit nécessaire pour elle de substituer son appréciation à celle qui avait été faite sous réserve du respect desdites conditions.

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Hassan KOHEN
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