La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 5 novembre 2014, affaire C-166/13, s’est prononcée sur l’étendue du droit fondamental d’être entendu. Le litige portait sur la nécessité d’une audition spécifique avant l’adoption d’une décision de retour contre un ressortissant étranger en séjour irrégulier.
Une ressortissante étrangère, entrée sur le territoire national en 2009, a vu sa demande d’asile définitivement rejetée par les autorités administratives et juridictionnelles compétentes. L’administration a alors pris une première décision de retour, suivie d’une seconde après l’interpellation de l’intéressée pour usage de faux documents administratifs. L’intéressée avait été entendue lors de l’examen de sa demande d’asile ainsi que durant sa garde à vue sur sa situation personnelle.
Le tribunal administratif de Melun, par une décision du 8 mars 2013, a sursis à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation du droit. La requérante soutenait que l’administration aurait dû lui permettre de présenter des observations propres à la mesure d’éloignement avant son adoption définitive par les autorités.
Le droit d’être entendu impose-t-il une audition spécifique pour la décision de retour lorsque le séjour irrégulier a déjà fait l’objet d’un examen ? La Cour juge que ce droit ne s’oppose pas à l’absence d’audition spécifique si la procédure antérieure a pleinement respecté cette garantie fondamentale. L’analyse des conditions d’exercice de ce droit fondamental précédera l’étude des conséquences de cet arrêt sur l’efficacité des procédures d’éloignement.
I. Une exigence d’audition spécifique limitée
A. La consécration du droit d’être entendu comme principe général
La Cour rappelle que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union dont l’audition fait partie. Ce droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître son point de vue de manière effective avant l’adoption d’une décision défavorable. Selon la jurisprudence, cette règle permet à l’autorité compétente de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents du dossier individuel. L’administration doit examiner avec soin les observations soumises et motiver sa décision pour permettre à l’intéressé de comprendre les raisons du refus. Bien que la Charte des droits fondamentaux s’adresse uniquement aux institutions européennes, ce principe s’impose aux États membres agissant dans le champ européen.
B. L’écartement d’une audition autonome pour la décision de retour
La décision de retour découle nécessairement de la constatation du caractère irrégulier du séjour du ressortissant étranger sur le territoire national concerné. La juridiction considère que le droit d’être entendu n’impose pas d’audition spécifique sur le retour si l’intéressé a pu s’exprimer sur l’irrégularité. « L’adoption d’une décision de retour découle nécessairement de celle constatant le caractère irrégulier du séjour de l’intéressé » selon les termes du juge. Il n’est donc pas requis d’entendre la personne une seconde fois spécifiquement sur la mesure d’éloignement si les garanties procédurales ont été respectées. La reconnaissance de cette dispense d’audition autonome repose toutefois sur la qualité de l’examen préalable réalisé par les autorités administratives nationales.
II. La recherche d’un équilibre entre protection individuelle et efficacité administrative
A. La suffisance de l’audition réalisée lors de la procédure de séjour
En l’espèce, l’intéressée avait pu exposer de manière exhaustive les motifs de sa demande d’asile devant les instances administratives et juridictionnelles compétentes. Le juge observe que la mesure de retour constitue le « prolongement logique et nécessaire » de la décision de refus du titre de séjour. L’intéressée a pu faire valoir son point de vue sur les motifs pouvant justifier que l’administration s’abstienne de prendre une décision défavorable. Une audition supplémentaire n’aurait pas accru la protection de la requérante mais aurait seulement prolongé inutilement la procédure administrative déjà longue. La régularité de la procédure dépend ainsi de la possibilité effective de corriger une erreur ou de faire valoir des éléments personnels pertinents.
B. La préservation de l’effectivité des politiques de retour
Le juge européen souligne que le droit d’être entendu ne peut être instrumentalisé pour rouvrir indéfiniment la procédure administrative contre l’étranger. Il importe de préserver l’équilibre entre le respect des droits fondamentaux et l’obligation des États membres de lutter efficacement contre l’immigration illégale. « Le droit d’être entendu avant l’adoption d’une décision de retour ne peut être instrumentalisé pour rouvrir indéfiniment la procédure administrative » affirme l’arrêt. L’efficacité de la politique de retour constitue un objectif d’intérêt général justifiant une mise en œuvre rationnelle des garanties procédurales par les autorités. La solution retenue confirme ainsi une conception pragmatique des droits de la défense, adaptée aux impératifs de célérité propres au contentieux.