Cour de justice de l’Union européenne, le 5 novembre 2019, n°C-663/17

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt de Grande chambre du 5 novembre 2019, précise les conditions de recevabilité du recours contre le retrait d’un agrément bancaire. Un établissement de crédit a subi l’annulation de son autorisation d’exercer par l’institution de surveillance compétente, entraînant l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire dans son État membre d’origine. Le liquidateur nommé par la juridiction nationale a alors révoqué le mandat de l’avocat mandaté par l’ancienne direction pour contester la décision de retrait d’agrément. Parallèlement, les actionnaires directs et indirects de la société ont introduit un recours en annulation, invoquant une atteinte à leurs droits de vote et à leur patrimoine. Le Tribunal de l’Union européenne, par une ordonnance du 12 septembre 2017, a prononcé un non-lieu à statuer pour la banque et a déclaré le recours des associés recevable. La haute juridiction doit ainsi déterminer si le droit au recours effectif permet à une banque liquidée de maintenir sa représentation et si les actionnaires possèdent un intérêt direct. La Cour annule l’ordonnance en jugeant que l’établissement de crédit conserve son droit d’agir, tandis que les actionnaires ne sont pas directement concernés par la perte de l’agrément.

I. La garantie du droit à la protection juridictionnelle de l’entité liquidée

A. L’existence d’un conflit d’intérêts neutralisant les règles nationales de représentation

L’application des règles de représentation d’une société en liquidation doit respecter les impératifs du droit de l’Union lorsque l’accès au juge est en cause. En l’espèce, le liquidateur a été désigné sur proposition d’une autorité nationale ayant elle-même participé au processus de retrait de l’agrément de l’établissement. La Cour souligne que « le risque existe que ce liquidateur évite toute remise en cause, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, d’un acte que ladite autorité a elle-même adopté ». Cette situation crée un conflit d’intérêts manifeste entre la mission de liquidation définitive et la volonté de l’ancienne direction de rétablir la licence bancaire.

La mission de réaliser les actifs et de désintéresser les créanciers s’oppose structurellement à la contestation d’un acte qui constitue le fondement même de la liquidation. Dès lors, le juge de l’Union refuse de reconnaître la validité de la révocation du mandat de l’avocat par le liquidateur pour assurer la défense de la banque. Une telle autonomie des États membres dans la désignation des organes habilités est « limitée par l’obligation […] de garantir le respect du droit à un recours effectif ». La neutralisation des pouvoirs du liquidateur permet ainsi de préserver l’autonomie de la volonté de la personne morale dans le cadre spécifique du contentieux administratif.

B. L’impératif de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux

Le droit à une protection juridictionnelle effective impose que l’entité faisant l’objet d’une décision défavorable puisse porter sa cause devant un tribunal indépendant et impartial. L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’oppose à ce que la défense des intérêts d’une banque soit confiée à un organe lié à l’autorité adverse. La Cour précise qu’il « serait porté atteinte au droit d’une personne morale […] à un recours juridictionnel effectif » si une telle situation de dépendance était validée. L’effectivité du droit de la défense deviendrait illusoire si l’institution ayant sollicité le retrait d’agrément pouvait indirectement contrôler la décision de maintenir ou non le recours.

L’annulation du retrait d’agrément pourrait entraîner la disparition du fondement juridique de la procédure de liquidation nationale et de la nomination du liquidateur lui-même. Cette corrélation directe entre l’acte de l’Union et la procédure nationale exige une interprétation protectrice des dispositions relatives à la représentation des justiciables. Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en estimant que l’application du droit national n’aboutissait pas à une violation du droit au recours. Le maintien du mandat initialement délivré par la direction légitime constitue la seule voie garantissant un accès réel et non théorique au contrôle de légalité.

II. L’exclusion de l’intérêt à agir des actionnaires contre le retrait d’agrément

A. L’absence d’atteinte directe à la situation juridique personnelle des associés

La recevabilité d’un recours introduit par une personne physique contre un acte dont elle n’est pas destinataire exige que celui-ci la concerne de manière directe. Selon une jurisprudence constante, la mesure contestée doit produire « directement des effets sur la situation juridique du particulier » sans l’intervention de règles intermédiaires autonomes. Or, le retrait de l’agrément bancaire affecte juridiquement l’établissement de crédit en tant que titulaire de l’autorisation, mais ne modifie pas les droits propres des associés. Ces derniers ne sont pas eux-mêmes détenteurs de la licence nécessaire pour exercer des activités financières au sein du marché intérieur.

Leurs prérogatives statutaires, telles que le droit de vote ou le droit aux dividendes, demeurent juridiquement intactes malgré l’arrêt de l’activité économique de la société. La décision de l’institution de surveillance n’interdit pas aux actionnaires de modifier l’objet social de leur entreprise ou de poursuivre une activité commerciale de nature différente. Si la banque perd sa capacité d’agir en tant qu’établissement de crédit, elle conserve sa personnalité morale et sa structure de gouvernance interne selon le droit national. La Cour rappelle ainsi que l’agrément est accordé à l’entité elle-même et non aux investisseurs qui composent son capital social.

B. L’indifférence de l’intensité des effets économiques de la décision

L’importance du préjudice financier subi par les détenteurs de parts sociales ne suffit pas à caractériser un intérêt direct au sens du droit de l’Union. Le Tribunal avait pourtant estimé que l’intensité des effets du retrait rendait l’exercice des droits de vote et de participation à la gestion « essentiellement formel ». La Cour censure ce raisonnement en soulignant que le juge doit distinguer les effets juridiques d’un acte de ses simples conséquences économiques ou patrimoniales. Le fait que les dividendes deviennent hypothétiques en raison de la fin de l’activité bancaire constitue un dommage matériel mais non une lésion juridique directe.

La mise en liquidation consécutive au retrait d’agrément ne découle pas automatiquement de la seule réglementation de l’Union européenne mais de l’application du droit national. Cette étape intermédiaire empêche de considérer que la décision de l’institution de surveillance est la cause directe de la dépossession des pouvoirs de gestion des actionnaires. La protection des droits des associés est normalement assurée par le recours de la société elle-même, dont la personnalité juridique fait écran aux intérêts des investisseurs. La stricte application des critères de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne préserve ainsi la cohérence du système des voies de recours.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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