Cour de justice de l’Union européenne, le 5 octobre 2006, n°C-368/04

Par un arrêt du 5 octobre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa troisième chambre, est venue préciser l’étendue des pouvoirs et des obligations du juge national confronté à une aide d’État mise à exécution en violation de l’obligation de notification préalable. En l’espèce, une législation autrichienne permettait le remboursement partiel de taxes sur l’énergie, mais réservait ce bénéfice aux seules entreprises dont l’activité principale consistait en la fabrication de biens corporels. Des sociétés de services, s’étant vu refuser ce remboursement, ont contesté ces décisions devant les juridictions nationales. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour avait déjà jugé, par un arrêt du 8 novembre 2001, que cette mesure sélective constituait une aide d’État au sens de l’article 87 du traité CE. Tirant les conséquences de cette première décision, la juridiction constitutionnelle autrichienne avait annulé les refus de remboursement, estimant que la loi, n’ayant pas été notifiée à la Commission, ne pouvait être appliquée en raison de l’effet direct de l’interdiction de mise à exécution posée par l’article 88, paragraphe 3, du traité. Par la suite, la Commission européenne a toutefois adopté une décision le 22 mai 2002, dans laquelle elle a déclaré l’aide en cause compatible avec le marché commun pour la période passée concernée. Se fondant sur cette nouvelle décision, les autorités fiscales autrichiennes ont de nouveau rejeté les demandes de remboursement des entreprises de services, ce qui a conduit à de nouveaux recours et à la présente demande de décision préjudicielle du Verwaltungsgerichtshof. Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si la déclaration de compatibilité d’une aide par la Commission, même avec effet rétroactif, a pour conséquence de régulariser l’illégalité de sa mise à exécution et de priver les justiciables de la possibilité d’invoquer la violation de l’obligation de notification préalable devant les juridictions nationales. La Cour répond par la négative, en affirmant qu’une décision de compatibilité ne saurait purger l’illégalité originelle résultant de la méconnaissance de l’obligation de standstill. Elle précise cependant que les juridictions nationales, en sauvegardant les droits des justiciables, doivent tenir compte de l’intérêt communautaire et ne pas adopter de mesures qui auraient pour seul effet d’étendre le cercle des bénéficiaires de l’aide. L’arrêt confirme ainsi le caractère absolu de l’illégalité procédurale tout en encadrant strictement les prérogatives correctrices du juge national. La solution consacre de manière ferme l’autonomie de l’illégalité résultant de la violation de l’obligation de notification (I), tout en définissant les limites imposées au juge national dans le choix des mesures réparatrices (II).

I. La confirmation du caractère indélébile de l’illégalité procédurale

L’arrêt réaffirme avec force que l’illégalité d’une aide non notifiée ne peut être effacée rétroactivement, consacrant ainsi l’autonomie et l’effet direct de l’obligation de standstill (A). Par conséquent, la Cour juge logiquement inopérante une décision ultérieure de compatibilité de la Commission sur cette illégalité initiale (B).

A. L’intangibilité de l’illégalité issue de la violation de l’article 88, paragraphe 3, du traité CE

La Cour rappelle un principe fondamental du contrôle des aides d’État selon lequel la mise en œuvre du système de contrôle incombe à la fois à la Commission et aux juridictions nationales, qui exercent des rôles distincts et complémentaires. Tandis que la Commission détient une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité matérielle d’une aide avec le marché commun, les juges nationaux sont les gardiens du respect de la légalité procédurale. Ils doivent assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct de la dernière phrase de l’article 88, paragraphe 3, du traité. Conformément à une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 21 novembre 1991, *Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires*, une aide mise à exécution en violation de l’obligation de notification est ainsi qualifiée d’illégale. La Cour souligne que cette illégalité est intrinsèque à la violation de la procédure et ne dépend pas de l’appréciation ultérieure portée sur le fond. Permettre une régularisation *a posteriori* reviendrait à priver de son effet utile la disposition du traité, car cela « conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de ladite disposition ». La logique de la Cour est d’éviter qu’un État membre ne soit incité à ignorer ses obligations procédurales, en considérant qu’une décision de compatibilité finale effacerait toute conséquence négative de son manquement.

B. L’inefficacité d’une décision de compatibilité rétroactive à purger l’illégalité

La principale interrogation de la juridiction de renvoi portait sur l’effet d’une décision de la Commission qui, non seulement déclarait l’aide compatible, mais le faisait explicitement pour une période passée. La Cour écarte cet argument avec une grande clarté. Elle énonce qu’une telle décision « n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui sont invalides du fait qu’ils ont été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cette disposition ». L’invalidité des actes nationaux de mise en œuvre de l’aide découle directement de la violation de la norme communautaire et ne peut être guérie par une décision ultérieure de la Commission. Pour la Cour, le moment où la demande de remboursement est formée, que ce soit avant ou après la décision de la Commission, est indifférent, dès lors qu’elle se rapporte à la situation illégale créée par l’absence de notification. Le raisonnement distingue ainsi rigoureusement l’invalidité procédurale, que le juge national doit sanctionner, de la compatibilité matérielle, qui relève de la seule compétence de la Commission. La décision de cette dernière ne peut donc avoir pour effet de valider rétroactivement ce qui était illégal au moment de son exécution.

Le juge national se voit donc confirmé dans son devoir de tirer toutes les conséquences de l’illégalité de l’aide. Cependant, la Cour apporte une nuance de taille quant à la nature des remèdes qu’il peut ordonner.

II. L’encadrement des mesures de sauvegarde par le juge national

Si le rôle du juge national dans la protection des droits des justiciables est réaffirmé (A), la Cour de justice y apporte une limite téléologique majeure, subordonnant l’action judiciaire à la préservation de l’intérêt communautaire (B).

A. Le devoir de tirer toutes les conséquences de l’illégalité

Conformément à sa jurisprudence, la Cour rappelle que les juridictions nationales, face à une aide illégale, doivent garantir que « toutes les conséquences en seront tirées, conformément à leur droit national ». Cela couvre un large éventail de mesures, incluant la validité des actes d’exécution de l’aide, le recouvrement des sommes indûment versées aux bénéficiaires, ou encore l’octroi de dommages-intérêts aux concurrents lésés. La Cour mentionne explicitement la possibilité pour le juge national d’ordonner la récupération de l’aide auprès de ses bénéficiaires, même si celle-ci a été ultérieurement déclarée compatible avec le marché commun. Cette solution est logique : la récupération vient sanctionner l’avantage concurrentiel illégal dont a bénéficié l’entreprise durant la période d’illégalité, indépendamment de la compatibilité finale de la mesure. Le dommage causé par la distorsion de concurrence existe du simple fait de la mise en œuvre prématurée de l’aide. La palette des remèdes disponibles dépend des voies de droit prévues par l’ordre juridique interne, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité. Le juge national reste donc l’acteur principal de la sanction de l’illégalité procédurale.

B. L’interdiction d’étendre le cercle des bénéficiaires de l’aide

La Cour introduit toutefois une restriction capitale. En statuant, le juge national doit non seulement protéger les intérêts des justiciables, mais aussi « prendre pleinement en considération l’intérêt communautaire ». Or, en l’espèce, la demande des entreprises exclues visait à obtenir le même avantage que celui accordé aux entreprises manufacturières, à savoir le remboursement partiel de la taxe. La Cour juge qu’une telle solution ne serait pas conforme à cet intérêt. Elle énonce qu’ordonner le remboursement au profit d’autres entreprises « aurait pour effet d’étendre le cercle des bénéficiaires de l’aide, accroissant ainsi les effets de cette aide au lieu de les éliminer ». Le but des remèdes n’est pas d’aggraver la distorsion de concurrence en augmentant le nombre de bénéficiaires, mais de la neutraliser. La Cour fait également référence à sa jurisprudence constante selon laquelle un assujetti à une taxe ne peut exciper de l’illégalité d’une exonération accordée à des tiers pour se soustraire à sa propre obligation de paiement. La solution n’est donc pas d’étendre l’aide illégale, mais de la faire disparaître, par exemple en ordonnant sa récupération auprès des bénéficiaires initiaux. Cette limite s’impose au juge national et oriente son choix vers des mesures qui rétablissent la situation concurrentielle antérieure plutôt que vers celles qui généralisent une mesure d’aide.

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