Cour de justice de l’Union européenne, le 5 octobre 2006, n°C-377/03

Par un arrêt du 5 octobre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État plusieurs manquements liés à la gestion des ressources propres de la Communauté, spécifiquement dans le cadre d’opérations de transit international de marchandises sous le couvert de carnets TIR. Les griefs portaient sur des défauts et des retards dans la comptabilisation et la mise à disposition de droits de douane, ainsi que sur le refus de verser les intérêts de retard correspondants.

Les faits à l’origine du litige remontent aux années 1992 à 1994, période durant laquelle des irrégularités dans l’apurement de plusieurs carnets TIR ont été constatées par les autorités douanières de l’État membre concerné. Face à une crise du système de garantie assurant le paiement des dettes douanières, cet État a choisi de comptabiliser les montants dus dans une comptabilité distincte, dite « comptabilité B », plutôt que dans la comptabilité principale, la « comptabilité A ». Cette pratique a eu pour effet de retarder la mise à disposition des fonds à la Commission. Après plusieurs contrôles et une procédure précontentieuse infructueuse, la Commission a saisi la Cour afin de faire constater le manquement. L’État membre a contesté la recevabilité du recours et, sur le fond, a justifié son action par l’effondrement du système de garantie et les contestations émises par l’association garante.

Il était donc demandé à la Cour de déterminer si un État membre peut unilatéralement déroger aux règles de comptabilisation des ressources propres de la Communauté en invoquant des difficultés liées à l’exécution d’un système de garantie privé. En répondant par la négative, la Cour a jugé que « en omettant de comptabiliser ou en comptabilisant tardivement les ressources propres découlant de carnets tir non déchargés régulièrement, en les reprenant dans la comptabilité B au lieu de les inscrire dans la comptabilité a, avec pour conséquence que les ressources propres en découlant n’ont pas été mises à la disposition de la Commission […] dans les délais », et en refusant de payer les intérêts afférents, l’État membre avait manqué à ses obligations.

I. L’affirmation rigoureuse des obligations de l’État membre en matière de ressources propres

A. La diligence requise dans la constatation et le recouvrement des créances douanières

La Cour rappelle que les délais prévus par la réglementation pour notifier une irrégularité et réclamer le paiement d’une dette douanière ne sont pas de simples délais butoirs. L’objectif de ces dispositions est d’assurer une mise à disposition rapide et efficace des ressources propres. Ainsi, la Cour souligne que « la communication de l’infraction ou de l’irrégularité doit, en tout état de cause, intervenir le plus rapidement possible, à savoir dès que les autorités douanières ont pris connaissance de ladite infraction ou irrégularité ». De même, la demande de paiement doit être envoyée dès que les autorités sont en mesure de le faire.

Cette interprétation s’écarte d’une lecture purement littérale des textes qui fixerait uniquement des échéances maximales. Elle impose aux administrations nationales une obligation de célérité, transformant les délais en une exigence d’action immédiate une fois les informations nécessaires réunies. La Cour privilégie ainsi l’efficacité du système financier de l’Union sur une approche formaliste qui pourrait permettre aux États membres de différer leurs obligations. En l’espèce, le fait que l’État membre ait attendu plusieurs années et les contrôles de la Commission pour régulariser la situation comptable de certaines créances constitue une méconnaissance manifeste de cette exigence de diligence.

B. L’interprétation stricte des conditions de comptabilisation des ressources propres

L’argument principal de l’État membre reposait sur la possibilité d’inscrire les créances dans la comptabilité B, ce qui suspend leur mise à disposition. Le règlement n° 1150/2000 réserve cette faculté aux droits qui n’ont pas encore été recouvrés et pour lesquels aucune caution n’a été fournie, ou aux droits qui, bien que garantis, font l’objet de contestations. La Cour analyse restrictivement ces deux conditions. Elle écarte d’abord l’argument selon lequel les garanties n’étaient plus effectives en raison de la crise du système. Pour la Cour, le cautionnement fourni par l’association garante existe juridiquement, et c’est son existence, non sa réalisabilité immédiate, qui détermine l’obligation d’inscription en comptabilité A.

Ensuite, la Cour précise la notion de « contestation ». Elle estime que l’État membre n’a pas démontré que les litiges portaient sur l’existence ou le montant même des créances, mais plutôt sur l’exécution des garanties. Or, une telle difficulté ne constitue pas une contestation au sens de la disposition permettant l’inscription en comptabilité B. En refusant de considérer les difficultés de recouvrement auprès du garant comme un motif valable pour différer la mise à disposition, la Cour sanctuarise les règles comptables des ressources propres et les rend imperméables aux aléas des mécanismes de garantie de droit privé.

II. La sanction du manquement aux principes fondamentaux du système financier de l’Union

A. Le rejet des justifications unilatérales de l’État membre fondées sur une crise du système de garantie

Face à l’argument de l’effondrement du système de garantie TIR, la Cour oppose le principe de coopération loyale, anciennement codifié à l’article 10 du traité CE. Elle juge que la décision de l’État membre de reprendre unilatéralement les droits dans la comptabilité B constituait une violation de cette obligation fondamentale. La Cour affirme en effet que les États membres « doivent soumettre à la Commission les problèmes rencontrés dans l’application du droit communautaire et […] ne sont pas autorisés à instituer des mesures de conservation nationales à l’encontre d’objections, de réserves ou de conditions que la Commission pourrait formuler ».

Ce faisant, la Cour réaffirme que la gestion des ressources propres n’est pas une prérogative nationale discrétionnaire mais une compétence exercée au nom de l’Union et sous son contrôle. Un État membre ne peut s’ériger en juge de l’opportunité d’appliquer ou non une règle de droit de l’Union, même face à des circonstances qu’il juge exceptionnelles. La seule voie possible était le dialogue avec la Commission. En agissant unilatéralement, et qui plus est en maintenant sa position malgré les objections de la Commission, l’État membre a commis un manquement qui dépasse la simple infraction technique pour toucher aux fondements de l’ordre juridique et financier de l’Union.

B. La conséquence automatique du retard : le paiement inconditionnel des intérêts moratoires

En conséquence logique des manquements constatés, la Cour conclut à l’obligation pour l’État membre de verser des intérêts de retard. Conformément à une jurisprudence établie, la Cour rappelle que l’article 11 du règlement n° 1150/2000 institue un mécanisme automatique. Le versement des intérêts est exigible « quelle que soit la raison du retard avec lequel ces ressources ont été portées au compte de la Commission ». Cette automaticité prive l’État membre de toute possibilité d’exonération fondée sur des circonstances particulières.

Cette solution consacre le caractère objectif du manquement financier. Le préjudice pour le budget de l’Union est constitué par le simple fait de ne pas avoir disposé des fonds à la date prévue, et ce préjudice doit être intégralement réparé par le versement d’intérêts. Cette règle a une portée dissuasive considérable, car elle rend toute temporisation financièrement coûteuse pour l’État membre défaillant. La décision renforce ainsi la discipline budgétaire au sein de l’Union en garantissant que les retards dans la perception de ses recettes traditionnelles ne restent pas sans conséquence.

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