Cour de justice de l’Union européenne, le 5 octobre 2023, n°C-496/22

Par un arrêt du 5 octobre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’étendue des obligations d’information lors des procédures de licenciements collectifs. Un agent de transport de fonds, recruté en août 2014, a vu son contrat rompu suite à une restructuration nationale liée à la crise sanitaire. L’employeur a supprimé cent vingt-huit postes sans consulter individuellement les salariés, le mandat des représentants du personnel ayant expiré peu avant le début de la procédure. Saisie d’un recours, la juridiction de première instance a rejeté la demande d’annulation du licenciement formée par le salarié évincé du service de sécurité. La Cour d’appel de Bucarest, par décision du 22 juin 2022, a sursis à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive 98/59. Le requérant soutient que l’employeur devait informer les travailleurs individuellement, tandis que la société invoque l’absence de partenaire social dûment mandaté durant l’opération. La question posée est de savoir si le droit de l’Union impose une consultation individuelle à défaut de représentants et si les États doivent garantir leur désignation. La Cour répond que l’information individuelle n’est pas requise si la législation nationale permet de garantir l’effet utile de la représentation collective.

I. La primauté de la représentation collective dans les licenciements économiques

A. L’absence d’obligation d’information et de consultation individuelle

La Cour affirme que les dispositions européennes ne prévoient pas de procédure d’information pour les travailleurs considérés de manière isolée lors d’un licenciement. Elle souligne que « le droit d’information et de consultation prévu par la directive 98/59 est destiné aux représentants des travailleurs, et non pas aux travailleurs pris individuellement ». Cette interprétation littérale écarte toute extension des obligations de l’employeur vers une dimension strictement personnelle du dialogue social interne à l’entreprise. La genèse du texte confirme cette volonté du législateur européen, lequel a refusé d’introduire une clause de consultation individuelle lors des travaux préparatoires de la directive.

B. La finalité collective du dialogue social européen

L’objectif de la directive consiste à favoriser une négociation globale visant à réduire l’ampleur des ruptures de contrats ou à en atténuer les conséquences sociales. La Cour précise que « les intérêts des travailleurs pris individuellement risquent de ne pas correspondre aux intérêts des travailleurs pris dans leur ensemble ». La légitimité des représentants permet seule de discuter utilement des mesures sociales d’accompagnement ou des critères de choix des salariés devant être licenciés. Une consultation individuelle fragmenterait la défense des salariés et nuirait à la cohérence des solutions recherchées par les partenaires sociaux et les autorités publiques compétentes.

II. L’exigence d’effectivité des mécanismes nationaux de représentation

A. L’obligation de garantie pesant sur les États membres

Les États membres doivent toutefois veiller à ce que les travailleurs disposent des moyens nécessaires pour intervenir par l’intermédiaire de leurs représentants dûment élus. La Cour rappelle que les juridictions nationales doivent « prendre toutes les mesures utiles pour que des représentants des travailleurs soient désignés » afin de respecter la directive. Une réglementation nationale ne saurait permettre à un employeur de contourner la protection des droits garantis en s’opposant à l’existence d’une représentation syndicale. Le juge national doit vérifier si les obstacles à la désignation des mandataires résultent de la volonté des salariés ou de défaillances de la législation.

B. La préservation de l’effet utile de la directive 98/59

L’effectivité du droit européen impose que les salariés ne soient pas empêchés de désigner leurs représentants pour des motifs totalement indépendants de leur propre volonté. La Cour délègue au juge national l’appréciation du caractère suffisant des dispositions internes régissant la durée des mandats et les modalités pratiques d’élection professionnelle. Si la loi nationale empêche toute représentation, l’État membre pourrait être tenu de réparer le dommage subi par les travailleurs lésés par cette non-conformité structurelle. La solution garantit ainsi un équilibre entre l’absence de consultation individuelle et la nécessité impérieuse d’un dialogue collectif protégé contre les entraves administratives.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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