Cour de justice de l’Union européenne, le 5 septembre 2019, n°C-333/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 5 septembre 2019, précise les conditions de recevabilité des recours en matière de commande publique. Ce litige s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’adjudication ouverte lancée par un pouvoir adjudicateur pour la réalisation de travaux d’assainissement hydrogéologique. La question posée à la juridiction européenne concerne l’interprétation de la directive 89/665 relative aux procédures de recours en matière de passation des marchés publics.

Une société évincée, placée en troisième position du classement définitif, a contesté devant la juridiction administrative l’admission de l’attributaire et du deuxième soumissionnaire. L’attributaire du marché a répliqué par un recours incident, soutenant que la requérante principale ne satisfaisait plus aux conditions de participation prévues par l’appel d’offres. Le tribunal administratif régional de Campanie a accueilli le recours incident et a déclaré le recours principal irrecevable pour défaut d’intérêt à agir. Saisi en appel, le Conseil d’État italien a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’obligation d’examiner le recours principal. Il s’agit de déterminer si le juge doit examiner le recours principal lorsque le recours incident est fondé, alors même que d’autres soumissionnaires n’ont pas été évincés. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que le droit de l’Union s’oppose à une règle nationale déclarant le recours principal irrecevable dans de telles circonstances.

I. L’équivalence des intérêts dans les recours en exclusion réciproques

A. La reconnaissance d’un intérêt à agir malgré l’exclusion

La Cour souligne que les recours doivent être accessibles à toute personne ayant eu un intérêt à obtenir un marché et risquant d’être lésée. « L’exclusion d’un soumissionnaire peut aboutir à ce que l’autre obtienne le marché directement dans le cadre de la même procédure » selon les motifs de l’arrêt. Même en cas d’exclusion réciproque, le soumissionnaire conserve un intérêt indirect à ce que l’illégalité de l’offre de l’attributaire soit formellement déclarée par le juge. Cette déclaration peut conduire le pouvoir adjudicateur à constater l’impossibilité de choisir une offre régulière et à lancer une nouvelle procédure de passation. Un intérêt légitime équivalent existe donc pour chaque concurrent souhaitant obtenir l’exclusion de l’offre des autres soumissionnaires présents lors de la sélection.

B. L’inopposabilité des règles de priorité procédurale

Le juge national ne peut s’appuyer sur des pratiques jurisprudentielles internes pour écarter systématiquement l’examen au fond du recours principal introduit par un soumissionnaire. « Chacun des concurrents peut faire valoir un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres » afin de provoquer une réouverture de la mise en concurrence. Cette solution impose aux juridictions saisies de ne pas déclarer l’irrecevabilité du recours principal au motif que le recours incident de l’attributaire serait fondé. La priorité chronologique ou procédurale accordée à l’examen de l’incident ne saurait vider de sa substance le droit au recours effectif garanti par l’Union. La protection juridictionnelle doit permettre à chaque opérateur de contester la validité des offres concurrentes pour préserver ses chances futures d’obtenir le contrat.

II. La protection de l’effet utile du droit de l’Union européenne

A. L’indifférence du nombre de participants à la procédure

La recevabilité du recours principal n’est pas subordonnée à la condition que l’ensemble des offres moins bien classées soient également jugées irrégulières par le juge. La Cour affirme que « l’existence d’une telle possibilité doit être considérée comme étant suffisante à cet égard » pour caractériser l’intérêt à agir du requérant. Le nombre de participants à la procédure de passation ou le nombre de ceux ayant introduit un recours ne modifie pas ce principe fondamental. Il importe peu que les autres entreprises classées derrière le requérant ne soient pas intervenues dans le litige opposant les candidats de tête. L’intérêt du soumissionnaire évincé réside dans la chance potentielle de participer à une nouvelle consultation si la procédure actuelle devait être intégralement annulée.

B. Les limites de l’autonomie procédurale des États membres

Le principe d’autonomie procédurale ne permet pas aux États membres d’adopter des dispositions rendant pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits européens. La Cour précise que l’article 1er de la directive 89/665 s’oppose à ce qu’un soumissionnaire soit privé d’un examen au fond de ses prétentions. Une pratique nationale exigeant la preuve certaine que le pouvoir adjudicateur réitérera la procédure porterait une atteinte disproportionnée à l’effet utile du droit. La protection accordée aux opérateurs économiques doit rester concrète et effective sans imposer des charges de la preuve insurmontables lors de la phase contentieuse. Les juridictions nationales sont ainsi tenues d’interpréter leurs règles internes de manière conforme aux exigences de transparence et de concurrence non faussée.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture