Cour de justice de l’Union européenne, le 5 septembre 2019, n°C-559/18

Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la nomenclature combinée relative au classement tarifaire des marchandises. En l’espèce, une société importatrice avait déclaré des unités d’alimentation stabilisées sous la sous-position 8504 40 30, bénéficiant d’une exemption de droits de douane. Ces convertisseurs, conçus pour transformer une tension d’entrée en une tension de sortie stabilisée, possédaient des caractéristiques techniques leur permettant d’être utilisés tant avec des appareils de télécommunication ou des machines de traitement de l’information qu’avec des équipements relevant d’autres secteurs, tels que la construction mécanique ou la technique médicale.

À la suite d’un contrôle, l’autorité douanière nationale a procédé à un recouvrement a posteriori, estimant que ces marchandises devaient être classées sous la sous-position 8504 40 90, soumise à un droit de douane de 3,3 %. L’autorité considérait que les convertisseurs n’étaient pas principalement destinés à être utilisés avec les appareils visés par la sous-position d’exemption. La société importatrice a contesté cette décision, d’abord par une réclamation administrative qui fut rejetée, puis en saisissant le Finanzgericht Baden-Württemberg. Cette juridiction, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle.

La question de droit soumise à la Cour était de savoir si la sous-position 8504 40 30, qui vise les convertisseurs statiques « du type utilisé avec les appareils de télécommunication, les machines automatiques de traitement de l’information et leurs unités », doit être interprétée en ce sens qu’il suffit que les marchandises puissent être utilisées avec de tels appareils, ou s’il est requis que cette utilisation constitue leur destination principale. La Cour a jugé que ces convertisseurs « ne sauraient relever de ladite sous-position que si leur destination essentielle est d’être utilisés avec “des appareils de télécommunication ou des machines automatiques de traitement de l’information et leurs unités” ».

Cette décision clarifie la méthode de classement pour les produits dont la description tarifaire est liée à leur usage, en réaffirmant la hiérarchie des critères d’interprétation (I). Elle porte en elle des conséquences importantes pour la sécurité juridique des opérateurs et la cohérence du droit douanier avec les engagements internationaux de l’Union (II).

I. La consolidation du critère de la destination essentielle en matière de classement tarifaire

La Cour, pour répondre à la question posée, s’appuie sur une méthodologie de classement bien établie, qu’elle vient néanmoins préciser. Elle rappelle d’abord la primauté reconnue aux caractéristiques objectives des marchandises (A), avant de définir les contours du critère subsidiaire de la destination lorsque la nomenclature y fait explicitement référence (B).

A. La réaffirmation de la primauté des caractéristiques et propriétés objectives

Le raisonnement de la Cour s’ancre dans un principe fondamental du droit douanier, qu’elle prend soin de rappeler avec constance. Le classement tarifaire d’une marchandise doit avant tout être déterminé par ses propriétés intrinsèques. La Cour énonce ainsi que « le critère décisif pour le classement tarifaire de marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la nc et des notes de section ou de chapitre de celle-ci ». Cette règle assure une application uniforme du tarif douanier commun et garantit la prévisibilité pour les opérateurs économiques.

Dans ce cadre, la destination d’un produit ne peut, en principe, être un critère de classement que si elle est inhérente à celui-ci, c’est-à-dire si elle peut être déduite de ses caractéristiques objectives. La Cour souligne que ce critère de la destination ne devient pertinent que « dans la mesure où le classement ne peut se faire sur la seule base des caractéristiques et des propriétés objectives de ce produit ». L’approche de la Cour confirme donc une hiérarchie claire : les caractéristiques physiques, techniques et fonctionnelles priment, et ce n’est qu’en cas d’ambiguïté ou de référence textuelle explicite que la finalité du produit peut être prise en compte de manière déterminante.

B. La précision du critère de destination pour les positions liées à une utilisation

La particularité de l’affaire résidait dans le libellé même de la sous-position 8504 40 30, qui définit les produits concernés par leur type d’utilisation. Face à une telle rédaction, la Cour devait clarifier si la simple potentialité d’usage suffisait. Sa réponse est négative et introduit une nuance décisive. Pour les positions tarifaires fondées sur une utilisation spécifique, le critère déterminant devient la « destination essentielle » du produit. Il ne suffit pas que le produit soit compatible avec l’usage visé ; il faut que cet usage constitue sa vocation principale.

La Cour précise ainsi qu’il « suffit que l’utilisation mentionnée dans la position en question constitue la destination essentielle de ce produit ». Par conséquent, le fait que les convertisseurs en cause possédaient des caractéristiques techniques générales leur permettant d’être utilisés dans divers appareils n’était pas suffisant pour les classer dans la sous-position d’exemption. Cette dernière, en raison de sa spécificité, exige une affectation prépondérante à l’usage qu’elle décrit. La Cour écarte ainsi une interprétation extensive qui aurait assimilé la simple compatibilité technique à une destination avérée, apportant une précision substantielle à l’application des critères de classement.

II. La portée d’une interprétation restrictive de la sous-position d’exonération

En consacrant le critère de la « destination essentielle », la Cour de justice ne se contente pas de résoudre un cas d’espèce. Sa décision renforce la sécurité juridique des classements douaniers (A) tout en assurant une application du droit de l’Union conforme à ses engagements internationaux (B).

A. Le renforcement de la sécurité juridique par une interprétation stricte

En rejetant une approche fondée sur la simple possibilité d’utilisation, la Cour opte pour une solution qui, bien que potentiellement moins favorable aux importateurs à court terme, favorise la sécurité juridique. Une interprétation large de l’expression « du type utilisé avec » aurait créé une incertitude considérable, rendant le bénéfice d’une exemption fiscale dépendant d’usages potentiels et non de la fonction réelle et principale du produit. Le classement serait devenu fluctuant et difficilement contrôlable.

L’interprétation de la Cour est également justifiée par la structure même de la nomenclature. Comme elle le relève, la sous-position 8504 40 30 se distingue des autres sous-positions de la même catégorie par une référence à un usage spécifique. Permettre à des convertisseurs polyvalents de relever de cette sous-position aurait vidé de sa substance la distinction opérée par le législateur de l’Union. La solution retenue impose aux opérateurs de documenter plus rigoureusement la destination de leurs produits pour bénéficier d’une exemption, mais elle leur offre en contrepartie un critère de classement plus clair et prévisible.

B. L’alignement de l’interprétation sur les accords commerciaux internationaux

La Cour souligne également que le droit dérivé de l’Union, y compris la nomenclature combinée, doit s’interpréter à la lumière des accords internationaux. En l’occurrence, la sous-position litigieuse et l’exemption de droits qui y est attachée trouvent leur origine dans l’Accord sur les technologies de l’information (ATI). Cet accord vise à libéraliser les échanges pour une liste précise de produits liés à ce secteur.

En exigeant que la destination essentielle des convertisseurs soit une utilisation dans le domaine des télécommunications ou du traitement de l’information, la Cour assure que l’application de l’exemption reste dans les limites des objectifs poursuivis par l’ATI. Une interprétation plus large aurait risqué d’étendre indûment le bénéfice de l’accord à des produits à usage général, qui n’étaient pas visés par les parties contractantes. La décision garantit ainsi la cohérence entre le tarif douanier commun de l’Union et ses engagements pris sur la scène commerciale internationale, préservant l’intégrité de sa politique commerciale.

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Hassan KOHEN
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