La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 octobre 2025, un arrêt relatif au recouvrement des créances pécuniaires des agences de l’Union. Dans cette affaire, une société a sollicité l’enregistrement d’une substance chimique en revendiquant indûment le statut de micro-entreprise auprès de l’agence compétente. L’organisme a ultérieurement constaté l’absence de preuves justificatives et a émis une facture pour des droits administratifs restée impayée par le déclarant.
Saisies par l’agence, les juridictions administratives allemandes ont interrogé le juge européen sur la répartition des compétences juridictionnelles et l’exécution forcée de telles décisions. Le problème juridique porte sur la possibilité pour une agence de poursuivre le recouvrement d’une dette devant les tribunaux nationaux plutôt que devant le juge européen. La Cour affirme que le juge de l’Union n’est pas compétent pour l’exécution et que les décisions de l’agence ne forment pas titre exécutoire. Cette solution impose une analyse de la répartition des compétences juridictionnelles (I) avant d’étudier le régime d’exécution des actes des organismes de l’Union (II).
I. La délimitation stricte des compétences entre les ordres juridictionnels européen et national
A. L’incompétence du juge de l’Union en matière d’exécution forcée des obligations pécuniaires
Le recours en annulation prévu à l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne vise uniquement le contrôle de légalité des actes. La Cour précise que le juge européen « ne peut être saisi par l’agence d’un recours visant à l’exécution d’une obligation pécuniaire imposée à une personne ». Étendre cette compétence au-delà de l’annulation d’actes reviendrait à créer une voie de droit nouvelle non prévue par les traités constitutifs de l’Union. Le législateur ne saurait élargir les attributions du Tribunal pour y inclure le recouvrement des créances sans méconnaître les limites fixées par le droit primaire. Cette solution préserve la nature spécifique du contentieux de l’annulation qui se distingue fondamentalement des actions tendant à l’exécution matérielle d’une créance.
B. La compétence de droit commun des juridictions nationales pour les litiges pécuniaires
L’article 274 du traité attribue aux juridictions nationales la compétence de principe pour connaître des litiges auxquels l’Union européenne est une partie au procès. L’agence doit donc porter ses actions en recouvrement devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le débiteur est légalement établi. La juridiction nationale vérifie la recevabilité de l’action selon son droit public interne sans pouvoir remettre en cause la légalité de la décision initiale. Le juge national assure ainsi la mise en œuvre du droit européen lorsque l’exécution directe par les organes de l’Union n’est pas expressément prévue. Cette répartition garantit le respect de la structure juridictionnelle de l’Union tout en offrant un cadre procédural établi pour le recouvrement des sommes dues.
II. Le régime juridique d’exécution des actes émanant des organismes de l’Union
A. Le caractère exhaustif de la liste des titres exécutoires de l’article 299 du traité
L’article 299 premier alinéa énonce limitativement les actes du Conseil, de la Commission ou de la Banque centrale européenne qui forment un titre exécutoire. La Cour considère que l’énumération figurant à cette disposition présente « un caractère manifestement exhaustive » et ne se prête nullement à une interprétation extensive. Les décisions de l’agence européenne des produits chimiques ne figurent pas dans cette liste et ne bénéficient donc pas de la force exécutoire automatique. Le traité de Lisbonne a sciemment limité l’extension de ce privilège à la seule Banque centrale sans inclure les agences ou autres organismes satellites. L’absence de disposition spécifique dans le règlement relatif à l’enregistrement des substances chimiques confirme l’intention du législateur de ne pas accorder ce droit.
B. L’obligation pour les États membres d’organiser des voies de recours effectives
Le principe de coopération loyale impose aux États membres de prendre toute mesure propre à assurer l’exécution des obligations résultant des actes des institutions. Les juridictions nationales doivent déterminer les modalités procédurales permettant l’exécution effective des décisions imposant des obligations pécuniaires dans le respect de l’équivalence. Il incombe aux autorités étatiques de ne pas rendre le recouvrement des sommes par l’agence « pratiquement impossible » par l’application de règles procédurales restrictives. La Cour souligne que l’absence de paiement ne saurait être sanctionnée uniquement par le rejet de la demande d’enregistrement soumise par l’entreprise concernée. Le dispositif national doit permettre à l’organisme de l’Union de recouvrer ses créances avec la même diligence que celle appliquée aux litiges purement internes.