Cour de justice de l’Union européenne, le 5 septembre 2024, n°C-498/22

Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de plusieurs directives, notamment la directive 2001/24/CE relative à l’assainissement et à la liquidation des établissements de crédit. La Cour examine la compatibilité des mesures d’assainissement prises dans un État membre avec les droits des créanciers agissant en justice dans un autre État membre, à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En l’espèce, un établissement de crédit en difficulté a fait l’objet de mesures d’assainissement dans son État membre d’origine. Ces mesures ont conduit à la création d’une banque-relais, à laquelle une partie des obligations et des responsabilités de l’établissement initial a été transférée. Cependant, certaines obligations, notamment celles découlant d’une éventuelle responsabilité précontractuelle ou contractuelle, ont été maintenues au passif de l’établissement d’origine. Des particuliers, clients de cet établissement, ont par la suite engagé une action en responsabilité contre la banque-relais devant une juridiction d’un autre État membre. Cette juridiction a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Elle s’interrogeait sur l’opposabilité de la mesure d’assainissement en l’absence de sa publication officielle, sur la possibilité pour les particuliers d’invoquer le principe de confiance légitime à l’encontre de la banque-relais, et sur la conformité d’un tel mécanisme de scission des passifs avec le droit de la consommation et le droit de propriété.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si les règles de l’Union européenne relatives à l’assainissement des établissements de crédit permettent de rendre une mesure de scission de passif, décidée dans un État membre, opposable à des créanciers dans un autre État membre, même en présence d’un vice de procédure et nonobstant les principes de confiance légitime et de protection des consommateurs.

La Cour de justice y répond par l’affirmative. Elle juge que l’absence de publication de la mesure d’assainissement ne fait pas obstacle à sa reconnaissance et à ses effets juridiques dans un autre État membre. Elle écarte également l’application du principe de confiance légitime, au motif que la banque-relais est un organisme de droit privé et non une autorité administrative. Enfin, elle estime que ni le droit de la consommation ni le droit de propriété ne s’opposent, en principe, à ce que la responsabilité pour des fautes contractuelles soit maintenue au passif de l’établissement d’origine, insolvable en pratique. Cette décision consacre ainsi la primauté des objectifs de stabilité financière sur certains mécanismes de protection des droits individuels, soulignant la portée considérable des mesures d’assainissement (I), tout en validant une application rigoureuse qui limite de fait les voies de recours effectives pour les créanciers (II).

I. La consécration de l’efficacité transfrontalière des mesures d’assainissement

La Cour de justice de l’Union européenne affirme avec clarté le principe de l’application immédiate et étendue des mesures d’assainissement, en écartant les obstacles tirés d’un vice de procédure (A) et d’une prétendue attente légitime des créanciers (B).

A. L’effet direct de la mesure malgré le défaut de publication

La décision commentée établit que les effets juridiques d’une mesure d’assainissement ne sont pas subordonnés à l’accomplissement de toutes les formalités de publicité prévues. La Cour interprète les articles 3 et 6 de la directive 2001/24 en ce sens qu’ils « ne s’opposent pas, en l’absence de la publication prévue à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, à la reconnaissance […] des effets d’une mesure d’assainissement ». Ce faisant, elle confère une portée maximale au principe de reconnaissance mutuelle qui structure le droit européen de la résolution bancaire. L’objectif est d’assurer que les décisions prises par l’autorité compétente de l’État membre d’origine s’appliquent de manière uniforme et sans délai dans toute l’Union, afin de prévenir toute action isolée qui viendrait compromettre la restructuration de l’établissement en difficulté. La sécurité et la stabilité du système financier l’emportent ainsi sur une exigence procédurale, dont l’omission est considérée comme n’étant pas de nature à priver la mesure de son effectivité. Cette solution garantit la cohérence du cadre d’assainissement et empêche que des créanciers situés dans d’autres États membres ne puissent faire échec à un plan de sauvetage global.

B. Le rejet de la confiance légitime face à une entité de droit privé

La Cour refuse ensuite de permettre aux particuliers d’invoquer le principe de protection de la confiance légitime pour engager la responsabilité de la banque-relais. Elle juge que ce principe ne peut être opposé à « une banque-relais, organisme de droit privé dépourvu de toute prérogative exorbitante du droit commun ». La Cour rappelle que la protection de la confiance légitime vise essentiellement à prémunir les justiciables contre des changements imprévisibles de la part des autorités publiques. Or, la banque-relais, bien que créée dans le cadre d’une intervention publique, opère sur un marché concurrentiel et n’agit pas comme une administration. Le fait que l’établissement d’origine ait été temporairement contrôlé par une autorité publique ne suffit pas à lui conférer ce statut. En conséquence, les clients ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que la nouvelle entité assume des obligations que le plan d’assainissement avait expressément laissées à la charge de la structure d’origine. Cette analyse confirme une distinction stricte entre la sphère de l’action publique et celle des opérateurs privés, même lorsque ces derniers sont des instruments d’une politique publique.

Cette affirmation de la pleine efficacité des mesures d’assainissement se double d’une appréciation restrictive de leur compatibilité avec les droits fondamentaux des créanciers, ce qui en limite la protection concrète.

II. Une protection limitée des créanciers face aux impératifs de stabilité financière

La Cour valide un mécanisme qui, tout en poursuivant un objectif d’intérêt général, conduit à une fragilisation de la situation des créanciers individuels, que ce soit au regard du droit de la consommation (A) ou du droit à un recours effectif (B).

A. La primauté de la lex specialis de l’assainissement sur le droit de la consommation

La Cour examine la compatibilité du mécanisme avec la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives et l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux relatif à la protection des consommateurs. Elle conclut que ces textes « ne s’opposent pas, en principe, à la reconnaissance […] des mesures d’assainissement […] qui prévoient […] le maintien au passif de l’établissement de crédit […] de l’obligation d’acquitter les sommes dues ». Autrement dit, le droit de l’assainissement bancaire, en tant que législation spéciale, peut organiser une répartition des passifs qui a pour conséquence de priver de fait les consommateurs de leur droit à indemnisation. Le droit d’être dédommagé pour une faute précontractuelle ou contractuelle n’est pas nié en théorie, mais il ne peut plus être exercé que contre l’entité d’origine, vidée de ses actifs et donc insolvable. La Cour admet ainsi que l’objectif de stabilité financière justifie une dérogation substantielle aux conséquences pratiques de la protection normalement accordée aux consommateurs, considérant que les deux corpus de règles poursuivent des finalités distinctes.

B. La portée formelle du droit au recours effectif et du droit de propriété

Enfin, la Cour évalue la mesure au regard de l’article 47 de la Charte, qui garantit le droit à un recours effectif, et de l’article 17 sur le droit de propriété. Bien que la solution retenue aboutisse à rendre le droit de créance des particuliers largement illusoire, la Cour estime qu’il n’y a pas de violation de ces droits fondamentaux. Le droit d’agir en justice subsiste formellement, même si c’est contre une entité insolvable. De même, la créance elle-même n’est pas juridiquement éteinte, ce qui préserve, en apparence, le droit de propriété. Cette approche révèle une conception formelle de la protection des droits. L’existence théorique d’une voie de droit est jugée suffisante, indépendamment de ses chances concrètes de succès. La décision met ainsi en lumière une hiérarchie claire : face à un risque systémique, l’intérêt collectif à préserver la stabilité du secteur financier prime sur la protection effective du patrimoine et des recours des créanciers individuels, lesquels supportent en définitive une partie du coût de la résolution.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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