Par un arrêt en date du 6 avril 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du droit au congé annuel payé, en se prononçant sur la compatibilité d’une législation nationale avec la directive 93/104/CE. En l’espèce, une organisation syndicale contestait la législation d’un État membre qui autorisait, sous certaines conditions, le remplacement des jours de congé annuel non pris au cours d’une année par une indemnité financière au cours d’une année ultérieure. Cette possibilité, explicitée par une brochure d’information gouvernementale, permettait aux travailleurs de monétiser les jours de congé accumulés au-delà du minimum légal de l’année en cours, y compris ceux correspondant au minimum légal des années précédentes qui n’avaient pas été utilisés.
Saisie en première instance, la juridiction nationale avait rejeté la demande de l’organisation syndicale. Celle-ci a interjeté appel, soutenant que cette interprétation de la loi nationale était contraire aux dispositions de la directive. C’est dans ce contexte que la juridiction d’appel a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. La question posée à la Cour était donc de savoir si l’article 7 de la directive 93/104/CE s’oppose à une réglementation nationale qui permet de remplacer la période minimale de congé annuel payé non prise au cours d’une année par une indemnité financière au cours d’une année ultérieure, pendant la durée de la relation de travail.
À cette interrogation, la Cour répond par l’affirmative en jugeant que l’article 7 de la directive « doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une disposition nationale permette, pendant la durée du contrat de travail, que les jours d’un congé annuel au sens du paragraphe 1 de cet article 7 qui ne sont pas pris au cours d’une année donnée soient remplacés par une indemnité financière au cours d’une année ultérieure. » Cette décision réaffirme la finalité protectrice du droit au repos et sa nature particulière au sein du droit social de l’Union.
La solution retenue par la Cour repose sur une consécration du caractère effectif du droit au repos annuel (I), ce qui conduit à une interprétation stricte limitant la substitution de ce repos par une indemnité (II).
I. La consécration du caractère effectif du droit au repos annuel
La Cour de justice fonde sa décision sur la nature et la finalité du droit au congé payé, rejetant une vision purement pécuniaire de ce dernier (A) pour le consacrer comme un principe essentiel du droit social de l’Union (B).
A. Le rejet d’une conception pécuniaire du congé annuel
La Cour écarte l’idée que le droit au congé annuel puisse être assimilé à un simple droit de créance pécuniaire du travailleur envers son employeur. Elle rappelle que la finalité de ce droit est de garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Dans cette optique, le congé vise à permettre un repos effectif. La Cour souligne ainsi que « le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé ». La possibilité de remplacer le repos par une somme d’argent, même pour des jours reportés, est jugée incompatible avec cet objectif.
En effet, une telle substitution créerait une incitation pour le travailleur à renoncer à prendre son congé, notamment pour des raisons financières. Cette logique est contraire à l’esprit de la directive, qui vise à assurer que le repos soit une réalité et non une simple option monétisable. La Cour note que « la possibilité d’une compensation financière pour le congé annuel minimal reporté créerait une incitation, incompatible avec les objectifs de la directive, à renoncer au congé de repos ou à faire en sorte que les travailleurs y renoncent ». Le droit au repos n’est donc pas un avantage patrimonial dont le travailleur pourrait librement disposer.
B. La qualification de principe essentiel du droit social de l’Union
Pour renforcer son raisonnement, la Cour rappelle avec force la place de ce droit dans l’ordonnancement juridique de l’Union. Elle juge que « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé ». Cette qualification a des conséquences importantes, car elle implique que sa mise en œuvre par les autorités nationales est strictement encadrée. Les États membres ne peuvent agir que dans les limites expressément définies par la directive elle-même.
En le qualifiant de principe essentiel, la Cour lui confère une valeur supérieure qui s’impose aux législations nationales. Elle empêche que ce droit soit vidé de sa substance par des aménagements nationaux qui, tout en en conservant l’apparence, en détruiraient la finalité. La directive fixe des prescriptions minimales, et toute dérogation doit être explicitement prévue. L’absence de dérogation possible à l’article 7, comme le souligne la Cour, confirme le caractère impératif et non négociable du droit à un repos effectif.
Cette haute qualification du droit au congé annuel emporte des conséquences directes sur l’interprétation des exceptions possibles. La Cour se livre ainsi à un contrôle rigoureux des modalités de remplacement de ce droit.
II. Une interprétation stricte limitant la substitution du repos par une indemnité
La Cour de justice déduit du caractère fondamental du droit au repos une interprétation stricte des dérogations possibles, n’admettant le remplacement par une indemnité que dans une seule hypothèse (A), afin de préserver l’objectif de protection de la santé du travailleur (B).
A. L’unique dérogation admise : la fin de la relation de travail
La Cour analyse de manière littérale et téléologique l’article 7, paragraphe 2, de la directive. Ce texte dispose que « la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ». La Cour en conclut, par un raisonnement a contrario, que cette exception est la seule et unique admise. Par conséquent, tant que le contrat de travail est en cours, aucune compensation financière ne peut se substituer au droit au repos.
Le jugement est sans équivoque à ce sujet : « ce n’est que dans le cas où il est mis fin à la relation de travail que son article 7, paragraphe 2, permet que le droit au congé annuel payé soit remplacé par une compensation financière ». Toute autre pratique, qu’elle résulte de la loi nationale ou d’un accord entre les parties, est donc proscrite. La Cour ajoute d’ailleurs qu’il « n’importe pas qu’une compensation financière du congé annuel payé repose ou non sur un accord contractuel », ce qui ferme la porte à toute tentative de contournement par la voie conventionnelle. L’exception est d’interprétation stricte et ne saurait être étendue à d’autres situations.
B. La préservation de l’objectif de protection de la sécurité et de la santé du travailleur
Cette interprétation restrictive est directement liée à l’objectif de la directive. Si les États membres pouvaient permettre la monétisation du congé annuel minimal, même reporté, la protection de la sécurité et de la santé du travailleur serait compromise. La Cour considère que le repos conserve son utilité même s’il est pris ultérieurement, notant que « ce temps de repos ne perd pas son intérêt à cet égard s’il est pris au cours d’une période ultérieure ». En revanche, son remplacement par une indemnité anéantit complètement cet effet positif pour le travailleur.
L’arrêt garantit ainsi l’effet utile de la directive. En interdisant le rachat des jours de congé non pris, la Cour veille à ce que le droit au repos ne devienne pas une fiction juridique. Elle impose aux États membres et aux employeurs une obligation de s’assurer que les travailleurs puissent effectivement prendre leur congé. Cette solution préserve l’équilibre voulu par le législateur de l’Union entre les nécessités de la vie économique et la protection de la santé, en faisant prévaloir cette dernière lorsque le droit au repos annuel est en jeu.