Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur la défaillance d’un État membre à transposer une directive dans le temps imparti. En l’espèce, une directive du 31 mars 2004, portant sur la coordination des procédures de passation des marchés publics, devait être intégrée dans l’ordre juridique interne des États membres avant une date butoir. Un État membre n’ayant pas satisfait à cette exigence dans le délai prescrit, une institution de l’Union a engagé un recours devant la Cour de justice afin de faire constater ce manquement. La question soulevée était donc de savoir si la simple inobservation du délai de transposition, indépendamment de toute autre considération, suffisait à caractériser une violation des obligations découlant du droit de l’Union. La Cour a répondu par l’affirmative, en déclarant qu’« en n’ayant pas adopté dans le délai prescrit les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». Cette solution consacre une conception stricte des obligations pesant sur les États membres.
Il convient d’analyser la confirmation du caractère impératif des obligations de transposition (I), avant d’étudier la portée de cette décision en tant que garante de l’effectivité du droit de l’Union (II).
***
I. La confirmation du caractère impératif des obligations de transposition
La décision commentée réaffirme avec force le caractère absolu de l’obligation de transposition des directives dans le délai imparti (A), rendant sans objet toute justification du retard par l’État membre (B).
A. Le manquement constitué par la seule inobservation du délai
La Cour de justice retient une approche rigoureuse de l’obligation de transposition qui pèse sur chaque État membre. Le manquement est constitué par le seul fait matériel du non-respect de l’échéance fixée par la directive. Le raisonnement de la Cour est direct et ne laisse place à aucune interprétation : la constatation de l’expiration du délai sans que les mesures nationales aient été prises suffit à établir la faute de l’État. En jugeant que le fait de ne pas avoir adopté les dispositions nécessaires « dans le délai prescrit » constitue un manquement, la Cour souligne que le facteur temporel est un élément essentiel de l’obligation. Cette dernière n’est pas seulement une obligation de résultat quant au contenu de la législation à adopter, mais également une obligation de diligence quant à son adoption en temps utile. La solution n’est pas nouvelle, mais elle rappelle que le respect du calendrier législatif européen est une condition fondamentale pour assurer l’application uniforme du droit de l’Union.
B. L’indifférence des difficultés internes de l’État membre
En conséquence de cette analyse, les éventuelles difficultés d’ordre interne rencontrées par l’État membre sont jugées indifférentes. La jurisprudence constante de la Cour de justice établit qu’un État ne peut exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, telles que des lenteurs parlementaires ou des complexités administratives, pour justifier une transposition tardive. La présente décision s’inscrit pleinement dans cette ligné. En se concentrant exclusivement sur le non-respect du délai, elle applique une forme de responsabilité objective de l’État. La motivation de l’arrêt est lapidaire car le principe est solidement établi. Peu importent les raisons du retard ; seul le résultat compte, à savoir l’absence de mesures de transposition à la date butoir. Cette sévérité est la condition nécessaire pour garantir la sécurité juridique et l’application simultanée des directives dans l’ensemble de l’Union.
***
II. Une décision garante de l’effectivité du droit de l’Union
Au-delà de son objet spécifique, cet arrêt illustre le rôle fondamental de la procédure en manquement pour le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union (A) et réaffirme l’exigence d’effectivité attachée aux actes de droit dérivé (B).
A. Le recours en manquement comme outil de cohésion juridique
Cette décision, bien que rendue en espèce, revêt une portée systémique. Elle met en lumière le rôle essentiel du recours en manquement, prévu par les traités, en tant qu’instrument destiné à préserver l’intégrité et la cohérence du droit de l’Union. En sanctionnant la défaillance d’un État, la Cour de justice n’agit pas seulement pour résoudre un litige particulier, mais aussi en sa qualité de gardienne des traités. Elle adresse un message à l’ensemble des États membres sur l’importance de respecter leurs engagements. La condamnation aux dépens, systématiquement prononcée, bien que financièrement souvent modeste, constitue le symbole de cette censure juridique. Elle renforce l’autorité du droit de l’Union et prévient des retards en chaîne qui compromettraient la réalisation des objectifs poursuivis par les directives, notamment dans des domaines aussi cruciaux que celui des marchés publics.
B. La portée du principe de l’effet utile des directives
La solution est entièrement tournée vers la nécessité d’assurer l’effet utile des directives. Une directive ne peut produire les effets juridiques et économiques escomptés que si elle est transposée dans tous les États membres dans des délais identiques. Un retard dans un État crée une distorsion et fragilise l’uniformité de la règle de droit. Dans le cas de la directive 2004/18/CE, une transposition tardive aurait pour conséquence de priver les opérateurs économiques des droits et des garanties qu’elle institue en matière de concurrence et de transparence des marchés publics. En déclarant que l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent », la Cour rappelle que ces obligations existent non seulement envers les institutions de l’Union, mais également envers les autres États membres et les justiciables qui doivent pouvoir se prévaloir d’un cadre juridique harmonisé et prévisible.