L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 6 décembre 2012 s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif au régime des restitutions à l’exportation pour les produits agricoles. En l’espèce, une société exportatrice avait demandé et obtenu des restitutions pour l’exportation de lots de viande bovine entre février 1997 et janvier 1998. Les déclarations d’exportation correspondantes précisaient que la viande provenait d’abattoirs dits « isolés », destinés à l’abattage d’animaux malades. Initialement accordées, les restitutions ont fait l’objet d’une demande de recouvrement par l’autorité douanière compétente au motif que la marchandise ne remplissait pas la condition de « qualité saine, loyale et marchande » exigée par l’article 13 du règlement (CEE) n° 3665/87. Cette appréciation, confirmée par la Cour de justice dans une précédente décision préjudicielle, a conduit au rejet définitif du recours de la société contre le remboursement. Par la suite, l’autorité douanière a infligé à l’exportateur une sanction administrative sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du même règlement, correspondant à la moitié de la restitution indûment demandée. La société a contesté cette sanction, arguant de sa bonne foi et de la description exacte des marchandises dans ses déclarations. Saisie du litige en dernière instance, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si une telle sanction doit être appliquée à un exportateur qui, pour une exportation n’ouvrant pas droit à restitution, a néanmoins introduit une demande en décrivant fidèlement les faits pertinents pour l’octroi de celle-ci. La Cour de justice a répondu que la sanction est applicable, indépendamment de la bonne foi de l’exportateur et de l’exactitude de la description factuelle de la marchandise, dès lors qu’il s’avère que cette dernière ne satisfaisait pas aux conditions requises, à moins qu’un des cas d’exonération limitativement prévus par la réglementation ne soit établi.
Cette décision réaffirme la rigueur du mécanisme de sanction en matière de restitutions agricoles, fondé sur une responsabilité objective de l’opérateur économique (I), tout en laissant à la juridiction nationale le soin d’apprécier l’applicabilité des rares causes d’exonération, lesquelles sont interprétées de manière stricte (II).
I. L’application objective de la sanction pour demande de restitution indue
La Cour confirme sa jurisprudence constante en rattachant l’application de la sanction à la seule constatation d’une divergence entre la restitution demandée et celle effectivement due, sans égard pour l’état d’esprit de l’exportateur. Ce faisant, elle consacre le principe d’une sanction indépendante de toute faute de l’opérateur (A) et précise que la simple soumission d’une demande vaut déclaration implicite de conformité, constituant le fait générateur de la sanction en cas d’erreur (B).
A. Le principe d’une sanction indépendante de la faute de l’exportateur
La Cour rappelle que le mécanisme de sanction prévu par le règlement n’a pas un caractère pénal, mais constitue une partie intégrante du régime des restitutions à l’exportation. Sa finalité est d’assurer la bonne gestion des fonds de l’Union en incitant les opérateurs à la plus grande diligence. Par conséquent, « la responsabilité sur laquelle est fondée cette sanction a un caractère essentiellement objectif ». La bonne foi de l’exportateur ou l’absence de toute intention frauduleuse est donc sans incidence sur l’application de la sanction prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement. Seule la constatation matérielle que l’opérateur a « demandé une restitution supérieure à la restitution applicable » est requise pour déclencher le mécanisme.
Cette approche objective s’applique y compris dans les situations où la restitution applicable est nulle, comme en l’espèce. Dans ce cas, la sanction est calculée sur la base d’une restitution applicable égale à zéro, ce qui conduit, conformément au quatrième alinéa du même article, au paiement par l’exportateur d’un montant négatif. Le raisonnement de la Cour est indifférent au fait que l’inexactitude de la demande ne résulte pas d’une fausse déclaration factuelle, mais d’une appréciation juridique erronée des conditions d’éligibilité, confirmée seulement a posteriori par une autorité administrative ou une juridiction.
B. La déclaration implicite de conformité comme fait générateur de la sanction
Pour écarter l’argument de l’exportateur selon lequel la description fidèle de l’origine de la viande aurait dû le prémunir de toute sanction, la Cour se fonde sur la notion de déclaration implicite. Elle précise que, même en l’absence d’une affirmation expresse, la demande de restitution elle-même « signifie toujours qu’il assure d’une façon implicite que cette condition [de qualité saine, loyale et marchande] est remplie ». Ainsi, en sollicitant une aide financière, l’opérateur endosse la responsabilité de la conformité de sa marchandise à toutes les exigences réglementaires, qu’elles soient explicitement mentionnées dans sa déclaration ou non.
Le fait générateur de la sanction n’est donc pas la fourniture d’une information fausse, mais bien l’erreur contenue dans cette déclaration implicite de conformité. Peu importe que l’exportateur ait fourni tous les éléments factuels permettant à l’administration d’exercer son contrôle ; le risque de l’interprétation juridique de ces faits pèse entièrement sur lui. Cette solution souligne l’exigence de professionnalisme attendue des opérateurs économiques qui bénéficient d’aides de l’Union, lesquels doivent s’assurer non seulement de la véracité des faits déclarés, mais aussi de leur adéquation avec les conditions de fond du droit applicable.
Si le principe d’une sanction objective est fermement posé, la Cour examine ensuite les possibilités d’y échapper, lesquelles se révèlent étroitement encadrées et soumises à une appréciation circonstanciée.
II. L’interprétation stricte des causes d’exonération
La Cour analyse successivement les deux motifs d’exonération invoqués par l’exportateur, à savoir la force majeure et l’existence d’un cas exceptionnel. Elle rejette le premier en raison de la prévisibilité de l’interprétation juridique retenue (A), mais ouvre une porte, sous conditions, à la reconnaissance d’un cas exceptionnel lié à la diligence de l’opérateur (B).
A. Le rejet de la force majeure et la prévisibilité de l’interprétation juridique
L’exportateur soutenait que le changement de doctrine de l’administration allemande, suivi de l’arrêt de la Cour, constituait un événement de force majeure. La Cour écarte cet argument en rappelant sa définition stricte de la force majeure, laquelle vise des « circonstances étrangères à l’opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées ». Or, elle estime que l’interprétation selon laquelle la viande provenant d’abattoirs isolés ne pouvait être de qualité saine, loyale et marchande n’était ni anormale ni imprévisible.
En effet, la Cour relève qu’une législation antérieure aux exportations en cause restreignait déjà considérablement la commercialisation de telles viandes. Un opérateur diligent et prudent aurait donc dû anticiper que leur éligibilité aux restitutions à l’exportation était, à tout le moins, incertaine. Par ce raisonnement, la Cour confirme que l’incertitude juridique ou un revirement de pratique administrative ne saurait, en principe, constituer un cas de force majeure exonérant l’opérateur de ses responsabilités. Il lui appartient de supporter le risque inhérent à son activité, y compris celui d’une interprétation défavorable de la réglementation.
B. L’ouverture potentielle au titre des « cas exceptionnels » liée à la diligence de l’opérateur
S’agissant du second motif d’exonération, prévu pour les « cas exceptionnels », la Cour se montre plus nuancée. Cette disposition permet à un exportateur d’échapper à la sanction s’il constate lui-même que le montant demandé est trop élevé et en informe de sa propre initiative les autorités compétentes. Bien qu’elle ne tranche pas le point en fait, la Cour fournit une grille d’analyse à la juridiction nationale. Elle relève les allégations de l’exportateur, selon lesquelles il aurait cessé de demander des restitutions dès qu’il a eu connaissance de l’instruction administrative, qui n’avait pas été publiée, et que la pratique antérieure des autorités allait en sens inverse.
La Cour considère qu’« il est loisible d’assimiler un ensemble de circonstances particulières telles que celles mentionnées […] à l’existence d’un cas exceptionnel ». En renvoyant à la juridiction nationale le soin de vérifier l’exactitude de ces faits, elle suggère qu’un changement de pratique non publié d’une administration, combiné à une réaction immédiate et diligente de l’opérateur dès qu’il en a connaissance, pourrait caractériser un tel cas. Cette ouverture, bien que limitée, tempère la rigueur du système objectif en valorisant la diligence et la bonne foi de l’opérateur, non pas au stade de la demande initiale, mais dans sa réaction face à la découverte d’une irrégularité.