Par un arrêt du 6 décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en première chambre, a rendu une décision préjudicielle clarifiant la portée d’un mandat d’arrêt européen lorsque celui-ci omet de mentionner l’intégralité des peines prononcées.
En l’espèce, une juridiction belge avait condamné un individu à une peine principale de trois ans d’emprisonnement ainsi qu’à une peine complémentaire de mise à disposition du tribunal de l’application des peines pour une durée de dix ans. La personne condamnée ayant quitté le pays, un mandat d’arrêt européen fut émis en vue de l’exécution de sa peine. Cependant, ce mandat ne faisait état que de la peine d’emprisonnement principale, omettant la peine complémentaire. Sur la base de ce document, la personne fut arrêtée aux Pays-Bas et remise aux autorités belges. Alors que la peine principale arrivait à son terme, la question de l’exécution de la peine complémentaire s’est posée. L’intéressé soutenait que sa privation de liberté ne pouvait se poursuivre, au motif que la peine complémentaire n’avait pas été mentionnée dans le mandat d’arrêt européen ayant fondé sa remise. Une tentative de l’autorité d’émission d’obtenir un consentement additionnel des autorités néerlandaises fut infructueuse, ces dernières estimant que la procédure n’était pas applicable à une peine prononcée pour la même infraction. Le tribunal de l’application des peines ayant ordonné le maintien en détention, un pourvoi fut formé devant le Hof van Cassatie, qui décida de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice.
La question de droit soulevée était de savoir si l’article 8, paragraphe 1, sous f), de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’omission, dans un mandat d’arrêt européen, d’une peine complémentaire prononcée pour la même infraction que la peine principale, s’oppose à ce que l’exécution de cette peine complémentaire puisse entraîner une privation de liberté dans l’État membre d’émission.
À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative. Elle juge que l’omission de la peine complémentaire dans le mandat d’arrêt européen ne fait pas obstacle à son exécution, y compris par une privation de liberté. Selon la Cour, la validité du mandat est assurée dès lors qu’il mentionne une peine principale dont la durée satisfait au seuil fixé par la décision-cadre, permettant ainsi à l’autorité d’exécution de procéder à la remise.
Cette solution, qui privilégie l’efficacité du mécanisme de coopération judiciaire, repose sur une interprétation stricte des conditions de validité du mandat d’arrêt européen (I), tout en réaffirmant la primauté du principe de reconnaissance mutuelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (II).
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I. Une interprétation pragmatique des exigences formelles du mandat d’arrêt européen
La Cour fonde sa décision sur une analyse fonctionnelle des informations requises par la décision-cadre. Elle estime que la validité du mandat n’est pas affectée par l’omission d’une peine (A) et écarte par ailleurs une application extensive du principe de spécialité qui aurait pu faire obstacle à l’exécution de la peine non mentionnée (B).
A. La validité du mandat d’arrêt européen assurée par la seule mention de la peine principale
La Cour examine en premier lieu la conformité du mandat d’arrêt litigieux avec l’article 8, paragraphe 1, sous f), de la décision-cadre, qui exige que le mandat contienne « la peine prononcée, s’il s’agit d’un jugement définitif ». En se référant au formulaire annexé, elle note que celui-ci vise la « durée de la peine ou mesure de sûreté privatives de liberté infligée ». L’objectif de cette exigence est d’informer l’autorité judiciaire d’exécution afin qu’elle puisse vérifier si le mandat relève bien du champ d’application de la décision-cadre, notamment en s’assurant que la condamnation dépasse le seuil de quatre mois prévu à l’article 2, paragraphe 1.
En l’espèce, la peine principale de trois ans d’emprisonnement excédait largement ce seuil. La Cour en déduit que « la mention de celle-ci suffisait à assurer que le mandat d’arrêt européen réponde à l’exigence de régularité » de l’article 8. L’omission de la peine complémentaire est ainsi réduite à une simple imperfection formelle, insuffisante pour invalider le mandat ou pour empêcher l’autorité d’exécution de procéder à la remise. Cette approche pragmatique garantit que des erreurs matérielles, qui ne vicient pas les conditions substantielles de la coopération, ne paralysent pas le système de remise. L’essentiel est que l’autorité d’exécution ait disposé des informations minimales nécessaires pour prendre sa décision en toute connaissance de cause quant au bien-fondé de la demande de remise au regard des objectifs de la décision-cadre.
B. Le rejet d’une application extensive du principe de spécialité
Une fois la validité du mandat admise, la Cour devait déterminer si l’exécution de la peine omise ne se heurtait pas au principe de spécialité. Ce principe, codifié à l’article 27, paragraphe 2, de la décision-cadre, interdit qu’une personne remise soit « poursuivie, condamnée ou privée de liberté pour une infraction commise avant sa remise autre que celle qui a motivé sa remise ». L’argument consistait à dire que, la remise n’ayant été autorisée que pour la peine principale, l’exécution de la peine complémentaire violerait cette règle.
La Cour rejette fermement cette interprétation. Elle rappelle que la règle de spécialité ne concerne que les « infractions autres que celles qui ont motivé la remise ». Or, dans le cas présent, la peine principale et la peine complémentaire ont été prononcées pour la même et unique infraction, dans la même décision judiciaire. La question ne portait donc pas sur l’ajout d’une nouvelle infraction, mais sur l’exécution intégrale d’une condamnation pour l’infraction ayant justifié la remise. La Cour souligne que la situation ne relevait donc pas du champ d’application de l’article 27, ce qui rendait la notion de consentement additionnel, d’ailleurs refusé par l’autorité néerlandaise, tout à fait inopérante. En circonscrivant ainsi strictement le principe de spécialité à la matérialité des faits poursuivis, la Cour évite que ce principe ne soit détourné pour limiter l’exécution des peines attachées à l’infraction pour laquelle la remise a été accordée.
Au-delà de cette analyse formelle des conditions d’application de la décision-cadre, la Cour ancre sa décision dans les principes fondamentaux qui gouvernent la coopération judiciaire pénale.
II. La réaffirmation des principes fondateurs de l’espace judiciaire européen
La solution retenue par la Cour de justice s’inscrit dans la logique profonde du mandat d’arrêt européen, qui repose sur la confiance mutuelle et vise à lutter contre l’impunité (A). Ce faisant, elle clarifie la répartition des rôles entre l’État d’émission et l’État d’exécution, tout en rappelant que la protection des droits de la personne remise relève principalement du premier (B).
A. La consécration de l’objectif d’efficacité de la coopération au nom de la confiance mutuelle
La Cour rappelle avec force que le système du mandat d’arrêt européen constitue la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle. Cet instrument vise à « faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice ». L’objectif ultime est que l’infraction commise ne demeure pas impunie. Subordonner l’exécution d’une peine complémentaire à sa mention explicite dans le mandat, alors même que la remise était légalement justifiée, serait incompatible avec cet objectif d’efficacité.
La Cour souligne également que le fondement de l’exécution d’une peine ne réside pas dans la décision de remise de l’autorité d’exécution, mais dans « le jugement exécutoire prononcé dans l’État membre d’émission ». L’autorité d’exécution ne valide pas la peine ; elle autorise la remise de la personne afin que cette peine puisse être exécutée. En conséquence, une omission dans le mandat ne saurait priver d’effet une condamnation devenue définitive. Cette solution renforce la confiance que chaque État membre doit avoir dans le système judiciaire des autres, en présumant que l’exécution des peines dans l’État d’émission se fera dans le respect du droit.
B. La délimitation du rôle de l’autorité d’exécution et le renvoi de la protection des droits à l’État d’émission
En validant l’exécution de la peine complémentaire, la Cour clarifie la répartition des compétences. Le rôle de l’autorité judiciaire d’exécution est de statuer sur la remise en vérifiant que les conditions de la décision-cadre sont remplies. Elle n’a pas à se prononcer sur les modalités d’exécution de la peine dans l’État d’émission. Une fois la remise effectuée, la procédure pénale retourne dans le giron de l’ordre juridique de cet État.
La Cour prend soin de noter que cette approche ne laisse pas la personne remise sans protection. Elle précise en effet que celle-ci peut « user, dans l’ordre juridique de l’État membre d’émission, des voies de recours qui lui permettent de contester, le cas échéant, la légalité de sa détention ». C’est précisément ce que l’intéressé a fait en l’espèce en saisissant les juridictions belges jusqu’au pourvoi en cassation. La protection des droits fondamentaux, notamment le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte, est donc assurée au premier chef par l’État d’émission. Cette précision est capitale : la Cour ne sacrifie pas les droits de la défense sur l’autel de l’efficacité, mais rappelle que leur exercice doit s’effectuer devant les juridictions nationales compétentes, dont il est présumé qu’elles respectent le droit de l’Union.