Cour de justice de l’Union européenne, le 6 décembre 2018, n°C-629/17

Par un arrêt en date du 6 décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Supremo Tribunal de Justiça portugais, a précisé les contours du motif de refus d’enregistrement d’une marque fondé sur son caractère descriptif.

En l’espèce, une société coopérative viticole avait obtenu l’enregistrement de la marque verbale « adegaborba.pt » pour désigner des produits vinicoles. Une autre entreprise du même secteur a intenté un recours en annulation de cet enregistrement, arguant de son caractère descriptif. Le terme « adega » signifie en portugais « cave » ou lieu d’élaboration du vin, tandis que « Borba » est une indication géographique correspondant à une région de production viticole au Portugal.

L’action en annulation fut rejetée en première instance par le Tribunal da Propriedade Intelectual, puis en appel par le Tribunal da Relação de Lisboa au motif que le signe était distinctif. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême portugaise a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice si l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95/CE devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement d’une telle marque. La question posée visait plus spécifiquement à déterminer si une indication relative au lieu de production, tel que le terme « adega », pouvait être considérée comme une « autre caractéristique » du produit au sens de la directive, rendant le signe descriptif et donc insusceptible de protection.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative, en jugeant qu’un signe verbal désignant des produits vinicoles, composé d’un terme couramment utilisé pour désigner les installations où ces produits sont élaborés et d’un nom géographique, doit être refusé à l’enregistrement. Cette solution repose sur une interprétation large de la notion de caractéristique descriptive (I), dont la portée est consolidée par le rappel de l’objectif d’intérêt général sous-jacent (II).

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I. L’interprétation extensive de la notion de caractéristique descriptive

La Cour adopte une approche large de la notion de caractéristique d’un produit en y incluant l’installation de production (A), ce qui la conduit logiquement à considérer comme descriptif un signe combinant deux éléments eux-mêmes dépourvus de distinctivité (B).

A. L’assimilation de l’installation de production à une caractéristique du produit

La Cour rappelle que la liste des indications énoncées à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive n’est pas exhaustive, comme le démontre l’emploi des termes « ou d’autres caractéristiques de ceux-ci ». Elle précise que le terme « caractéristique » vise toute « propriété, facilement reconnaissable par les milieux intéressés, des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé ». C’est sur ce fondement qu’elle analyse le terme « adega ».

Dans son acception désignant les locaux où le vin est élaboré, ce terme renvoie directement au lieu de production du produit. La Cour estime qu’une telle indication constitue bien une propriété du produit, aisément reconnaissable par les consommateurs concernés. Elle juge en effet que « de tels milieux percevront le terme “adega” comme une référence à l’installation dans laquelle le vin est élaboré et stocké, et, partant, comme une référence aux propriétés de ce produit ». Ainsi, une indication relative à l’installation de fabrication est traitée de la même manière qu’une indication de « provenance géographique ou [d’] époque de la production », explicitement visées par la directive comme étant des caractéristiques descriptives. Le lieu de production est donc bien une caractéristique du produit au sens du droit des marques.

B. L’appréciation du caractère descriptif d’un signe complexe

Après avoir qualifié le terme « adega » de descriptif, la Cour examine le signe dans son ensemble, lequel associe ce premier terme à un nom géographique, « Borba ». Ce nom géographique se rapporte lui-même à la provenance du produit, une caractéristique expressément visée par la directive. Le signe est donc composé de deux éléments qui, pris isolément, sont descriptifs pour les produits en cause.

La Cour en déduit sans surprise que l’association de ces deux éléments descriptifs ne peut aboutir à un signe distinctif. Elle affirme que « le signe composé de ces deux éléments verbaux doit être considéré comme revêtant un caractère descriptif et, comme tel, dépourvu de caractère distinctif ». La solution est d’autant plus justifiée que le nom géographique en cause est susceptible de constituer une appellation d’origine protégée, ce qui renforce la nécessité de le laisser à la libre disposition de tous les producteurs de la région concernée. L’analyse ne s’arrête pas à la simple qualification, elle s’inscrit dans une logique de préservation de l’usage commun des termes nécessaires au commerce.

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II. La consolidation d’une solution au service de l’intérêt général

La décision de la Cour réaffirme avec force le principe de disponibilité des signes descriptifs (A) et en précise le champ d’application en écartant des arguments extrinsèques à l’analyse de la marque elle-même (B).

A. Le principe de disponibilité des signes descriptifs

La Cour ancre sa décision dans un principe fondamental du droit des marques, celui de l’intérêt général. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le motif de refus prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous c), « poursuit un but d’intérêt général, lequel exige que les signes ou indications descriptives des catégories de produits ou de services pour lesquelles l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous ». L’enregistrement d’une marque ne doit pas conduire à la monopolisation d’un terme nécessaire pour décrire des caractéristiques des produits ou services sur un marché.

En qualifiant le terme « adega » de descriptif pour les produits vinicoles, la Cour garantit que tout producteur de vin puisse utiliser ce mot pour désigner son chai ou sa cave, sans risquer une action en contrefaçon. Cette solution est économiquement saine, car elle préserve une concurrence loyale en empêchant un opérateur de s’approprier un vocabulaire usuel et nécessaire aux acteurs du secteur. La portée de l’arrêt est donc de confirmer que la protection du consommateur et la libre concurrence priment sur l’intérêt particulier d’une entreprise à enregistrer un signe potentiellement ambigu.

B. L’indifférence de l’intégration du signe dans la dénomination sociale

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la pertinence du fait que le terme « adega » faisait partie de la dénomination sociale de l’entreprise demanderesse à l’enregistrement. La Cour écarte cet argument de manière catégorique, le jugeant « dénué de pertinence aux fins de l’examen du caractère descriptif de ce terme ». L’analyse du caractère distinctif ou descriptif d’un signe s’effectue exclusivement au regard de la perception qu’en ont les milieux intéressés et par rapport aux produits ou services désignés.

Le droit des sociétés et le droit des marques poursuivent des finalités différentes et obéissent à des régimes distincts. La circonstance qu’un terme soit légitimement inclus dans une dénomination sociale ne lui confère pas automatiquement la distinctivité requise pour constituer une marque valable. En affirmant cette étanchéité, la Cour évite que le droit des marques ne soit contourné par des stratégies fondées sur le choix d’une dénomination sociale. Elle rappelle ainsi que la fonction de la marque est de garantir l’origine d’un produit dans le commerce, une fonction que ne peut remplir un signe perçu comme une simple description de l’une de ses caractéristiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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