Par un arrêt rendu en procédure préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles une société filiale peut être exemptée de son obligation de publier ses comptes annuels. En l’espèce, une société établie en Allemagne, filiale d’une société mère ayant son siège en Autriche, s’est vue infliger une amende par l’autorité administrative allemande pour ne pas avoir publié ses comptes annuels pour un exercice social donné. La société filiale estimait pourtant pouvoir bénéficier d’une exemption prévue par le droit allemand, au motif qu’elle était incluse dans les comptes consolidés de sa société mère autrichienne, lesquels avaient été dûment publiés. L’autorité administrative a toutefois rejeté cette argumentation, considérant que la législation nationale réservait le bénéfice de cette exemption aux seules filiales dont la société mère est également établie sur le territoire national. Saisie du litige, la juridiction allemande a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle restriction nationale avec le droit de l’Union, notamment au regard de la liberté d’établissement. La question posée visait donc à déterminer si une disposition nationale peut subordonner l’exemption de publication des comptes annuels d’une filiale, faculté ouverte par une directive européenne, à la condition que la société mère soit établie dans le même État membre. La Cour a répondu par la négative, jugeant que le droit de l’Union s’oppose à une telle réglementation nationale. La solution, fondée sur une interprétation stricte du texte européen (I), emporte des conséquences significatives pour l’harmonisation du droit des sociétés au sein du marché intérieur (II).
I. La consécration d’une interprétation littérale de la directive comptable
La Cour fonde sa décision sur une analyse textuelle de la disposition européenne pertinente, ce qui la conduit à censurer la condition de territorialité ajoutée par le droit national (A) et la dispense d’examiner le grief tiré de la violation des libertés de circulation (B).
A. Le rejet d’une condition de territorialité ajoutée par le droit national
La législation allemande en cause avait transposé une faculté offerte par l’article 57 de la directive 78/660/CEE, permettant aux États membres de ne pas appliquer certaines dispositions comptables aux sociétés filiales. Toutefois, le législateur national avait ajouté une condition restrictive, limitant cette exemption aux cas où la société mère relevait également du droit allemand. La Cour de justice écarte cette restriction en s’attachant au libellé même de la directive. Elle relève que pour bénéficier de l’exemption, l’article 57, sous a), de la directive exige que « l’entreprise mère doit relever du droit d’un État membre ».
La Cour considère que ces termes « indiquent sans équivoque que, aux fins de l’application de l’exemption prévue à cet article, l’entreprise mère peut relever du droit de tout État membre de l’Union européenne et non pas uniquement de celui de l’entreprise filiale cherchant à se prévaloir de cette exemption ». L’analyse est renforcée par une comparaison avec la phrase introductive du même article, qui vise les entreprises filiales qui relèvent « de leur droit national », démontrant que le législateur de l’Union sait être plus restrictif lorsque tel est son objectif. Par conséquent, en exigeant une coïncidence de la localisation de la filiale et de la mère, la loi nationale a ajouté une condition non prévue par la directive, et donc contraire à celle-ci.
B. Une solution dispensant de l’analyse au regard des libertés de circulation
La juridiction de renvoi avait initialement formulé sa question en se référant à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agissait de savoir si la restriction nationale créait une entrave injustifiée pour les groupes de sociétés organisés à une échelle transfrontalière. Cependant, la Cour de justice ne juge pas nécessaire d’explorer cette voie. Ayant constaté que la réglementation allemande était directement contraire au texte de la directive qu’elle était censée transposer, elle en conclut qu’il n’est pas utile de poursuivre l’examen.
Dans une formule concise, la Cour affirme qu’« il n’est pas nécessaire d’apprécier si les dispositions nationales combinées en cause au principal sont contraires à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE ». Cette approche, relevant de l’économie de moyens, permet de résoudre le litige sur le terrain du droit dérivé sans avoir à se prononcer sur l’application d’une liberté fondamentale du traité. La non-conformité de la loi de transposition à la directive suffit à fonder la réponse, illustrant que la violation d’une norme de droit dérivé constitue un fondement autonome et suffisant pour écarter l’application d’une loi nationale.
II. La portée de la décision : la primauté du droit de l’Union au service du marché intérieur
Au-delà de son aspect technique, la décision rappelle avec force l’exigence d’une transposition fidèle des directives (A) et contribue à garantir une application uniforme des règles comptables, essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur (B).
A. Le rappel de l’obligation de transposition fidèle des directives
Cet arrêt illustre les limites de la marge de manœuvre dont disposent les États membres lors de la transposition des directives. Si les États sont libres de choisir les moyens pour atteindre les objectifs fixés, ils ne peuvent en aucun cas altérer la substance des dispositions, notamment en y ajoutant des conditions qui en restreignent la portée. En l’espèce, la République fédérale d’Allemagne, en faisant usage de la faculté d’exemption, était tenue de respecter l’ensemble des conditions posées par l’article 57 de la directive, sans pouvoir en introduire de nouvelles.
La décision de la Cour constitue un rappel à l’ordre sur l’obligation de transposition correcte et complète. Elle implique pour la juridiction nationale, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union et de l’obligation d’interprétation conforme, d’écarter la disposition nationale litigieuse qui impose la condition de territorialité. La solution réaffirme ainsi que les facultés ouvertes par le droit de l’Union, une fois exercées par un État membre, doivent l’être dans le respect du cadre harmonisé, sans que des considérations purement nationales ne puissent y faire échec.
B. La garantie d’une application uniforme de l’exemption au sein de l’Union
La portée de cet arrêt réside principalement dans sa contribution à l’effectivité du marché intérieur. En interdisant aux États membres de réserver le bénéfice d’une mesure de simplification comptable aux seuls groupes de sociétés purement nationaux, la Cour prévient une fragmentation du droit applicable. Une telle restriction aurait en effet créé une entrave pour les groupes transfrontaliers, les soumettant à des obligations de publicité plus lourdes que leurs homologues nationaux, sans justification fondée sur le texte de la directive.
La solution assure donc que l’exemption de publication des comptes annuels pour les filiales s’applique de manière homogène à travers l’Union, quelle que soit la localisation de la société mère au sein de celle-ci. Elle facilite les opérations des entreprises qui structurent leurs activités dans plusieurs États membres, en leur garantissant un traitement équivalent sur l’ensemble du territoire de l’Union. La Cour veille ainsi à ce que les mesures d’harmonisation du droit des sociétés, telles que celles prévues par la directive comptable, atteignent pleinement leur objectif de protection des intérêts des associés et des tiers dans un marché unifié.