Par un arrêt du 6 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du droit au remboursement de l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des intérêts de retard y afférents. Cette décision intervient dans un contexte où les prérogatives des administrations fiscales nationales en matière de contrôle peuvent affecter la trésorerie des assujettis.
En l’espèce, une société active dans le commerce de céréales a sollicité le remboursement d’un important excédent de TVA. L’administration fiscale a alors initié une procédure de contrôle de la régularité de cette demande, au cours de laquelle elle a infligé plusieurs amendes à la société pour communication tardive d’informations. Le remboursement partiel de l’excédent de TVA n’est intervenu que près de deux ans après la demande initiale.
La société a alors réclamé le paiement d’intérêts de retard, ce que l’administration fiscale a refusé. Cette dernière soutenait que, conformément au droit national, l’infliction d’une amende pour entrave au contrôle avait pour effet de reporter le point de départ du délai de remboursement à la date de la clôture de la procédure de contrôle. De ce fait, le remboursement n’était pas considéré comme tardif et aucun intérêt n’était dû. Saisie du litige, la juridiction hongroise a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice, s’interrogeant sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec le droit de l’Union.
Il était ainsi demandé à la Cour de justice si le droit de l’Union, en particulier l’article 183 de la directive TVA et le principe de neutralité fiscale, s’oppose à une réglementation nationale qui permet de reporter le délai de remboursement et d’exclure le versement d’intérêts de retard du simple fait qu’une amende a été infligée à l’assujetti, y compris lorsque la durée du contrôle est excessive et non principalement imputable à ce dernier.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle réglementation est contraire au droit de l’Union. Elle estime que « dans le cas où une procédure de contrôle fiscal est engagée par l’administration et où une amende est infligée à un assujetti pour défaut de coopération, la date du remboursement de l’excédent de la taxe sur la valeur ajoutée peut être reportée jusqu’à la remise audit assujetti du procès-verbal de ce contrôle et le versement d’intérêts de retard peut être refusé, même lorsque la durée de la procédure de contrôle fiscal est excessive et n’est pas entièrement imputable au comportement de l’assujetti ».
La solution de la Cour renforce la protection des assujettis en encadrant strictement les conséquences d’une procédure de contrôle sur le droit au remboursement de la TVA (I), affirmant ainsi la primauté des principes fondamentaux du droit de l’Union sur les règles procédurales nationales (II).
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I. L’encadrement strict des conséquences d’un contrôle fiscal sur le droit au remboursement
La Cour de justice rappelle que si les États membres disposent d’une autonomie pour fixer les modalités de remboursement de la TVA, cette prérogative est limitée par le principe de neutralité fiscale. Ce principe impose non seulement un remboursement dans un délai raisonnable (A), mais aussi une appréciation proportionnée du comportement de l’assujetti (B).
A. L’exigence d’un remboursement effectué dans un délai raisonnable
La Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle les modalités de remboursement « ne doivent pas porter atteinte au principe de neutralité fiscale en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou en partie, le poids de cette taxe ». Cela implique que l’assujetti doit pouvoir récupérer sa créance dans des conditions adéquates, ce qui suppose un remboursement effectué « dans un délai raisonnable ». Si ce délai est dépassé, la perte financière subie par l’assujetti, privée de la disponibilité des fonds, doit être compensée par le versement d’intérêts de retard.
Certes, la Cour admet qu’une procédure de vérification fiscale puisse prolonger le délai de remboursement. Cependant, cette prolongation ne doit pas être considérée comme déraisonnable, à condition qu’elle « n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour mener à bien cette procédure de vérification ». En l’espèce, un délai de près de deux ans pour un remboursement qui aurait dû intervenir en quelques semaines apparaît manifestement excessif. La Cour sanctionne ainsi une pratique qui, sous couvert de contrôle, crée une charge financière indue pour l’assujetti et le place dans une situation d’incertitude quant à la disponibilité de sa trésorerie.
B. L’appréciation proportionnée du comportement de l’assujetti
Le point central de l’arrêt réside dans l’analyse des conséquences du comportement de l’assujetti. L’administration fiscale et le gouvernement hongrois arguaient que le retard était imputable à la société, qui avait été sanctionnée par des amendes pour son manque de diligence. La Cour ne nie pas la pertinence du comportement de l’assujetti. Elle reconnaît qu’un contribuable qui, par sa propre obstruction, provoquerait un retard de remboursement ne saurait légitimement réclamer des intérêts pour ce même retard.
Néanmoins, la Cour refuse une approche binaire et automatique. Elle juge incompatible avec le principe de neutralité fiscale une réglementation qui, du « seul fait que l’assujetti a été condamné à une amende », permet à l’administration de prolonger indéfiniment un contrôle sans devoir verser d’intérêts. Une telle règle est disproportionnée. Il convient au contraire d’analyser « la part de la durée de la procédure de contrôle fiscal qui est imputable au comportement de l’assujetti ». Un manquement ponctuel ou mineur ne peut justifier une prolongation excessive de la procédure dans son ensemble, privant l’assujetti de toute compensation financière pour la période de retard qui n’est pas de son fait.
II. La primauté des principes de l’Union sur les procédures nationales
La décision de la Cour a une portée significative en ce qu’elle limite l’autonomie procédurale des États membres au nom des principes d’effectivité et de neutralité fiscale (A), et confère au juge national un rôle essentiel dans la protection des droits que les assujettis tirent du droit de l’Union (B).
A. La sanction d’une règle procédurale nationale disproportionnée
L’arrêt constitue une critique directe d’une réglementation nationale qui crée un déséquilibre manifeste entre l’administration et l’assujetti. En permettant à l’autorité fiscale de reporter la date de remboursement et de s’exonérer du paiement d’intérêts de retard sur la base d’une simple amende, la loi hongroise lui conférait un pouvoir discrétionnaire excessif. Une telle disposition pouvait inciter à prolonger les contrôles sans justification objective, sachant que l’impact financier serait entièrement supporté par le contribuable.
La Cour considère qu’une telle règle « expose l’assujetti à des désavantages pécuniaires » et le place « dans l’impossibilité de prévoir la date à partir de laquelle il pourra disposer des fonds ». Elle est donc contraire non seulement au principe de neutralité fiscale, mais également au principe de sécurité juridique. En censurant ce mécanisme, la Cour rappelle que les règles procédurales nationales, bien que relevant de la compétence des États membres, ne sauraient vider de leur substance les droits garantis par la directive TVA.
B. Le rôle du juge national dans la garantie de l’effet utile du droit de l’Union
Face à une réglementation nationale jugée contraire au droit de l’Union, la Cour rappelle les obligations qui incombent à la juridiction de renvoi. D’une part, celle-ci est tenue « d’interpréter [le droit interne] dans toute la mesure possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive ». Le juge national doit donc chercher une lecture de sa législation qui soit compatible avec l’exigence d’une appréciation proportionnée du retard.
D’autre part, et de manière plus radicale, la Cour précise que si une telle interprétation conforme s’avère impossible, le juge national a le devoir « d’assurer le plein effet » des dispositions du droit de l’Union « en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition nationale contraire ». Cette instruction confère un pouvoir considérable au juge national, qui devient le garant direct de l’effectivité des droits de l’assujetti, en particulier son droit à obtenir le remboursement de l’excédent de TVA et la compensation financière pour un retard déraisonnable, même contre le texte exprès de la loi nationale.