Par un arrêt du 6 juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter la notion d’« accident » au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Convention de Montréal du 28 mai 1999. Cette convention établit un régime de responsabilité uniforme pour le transport aérien international.
En l’espèce, un passager a subi des brûlures à bord d’un aéronef, après qu’une cafetière chaude fut tombée d’un chariot de service. Il a reçu des premiers soins de la part du personnel de bord. S’estimant victime d’une aggravation de ses lésions en raison du caractère inadéquat de ces soins, le passager a intenté une action en réparation contre le transporteur aérien. Cette action a été introduite plus de deux ans après l’incident, mais dans le délai de trois ans prévu par le droit national autrichien. Le passager soutenait que les premiers soins inappropriés constituaient un fait dommageable distinct de la chute de la cafetière, et que, n’étant pas un « accident » au sens de la Convention de Montréal, la demande en réparation relevait du droit commun et de son délai de prescription triennal.
Le tribunal de commerce de Vienne, puis le tribunal régional supérieur de Vienne ont rejeté cette argumentation, jugeant que le préjudice résultait d’un unique accident couvert par la Convention de Montréal et que l’action était donc prescrite en vertu du délai de deux ans fixé par l’article 35 de ladite convention. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême d’Autriche a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur le point de savoir si les premiers soins dispensés à la suite d’un accident et ayant aggravé le préjudice corporel devaient être considérés comme relevant de ce même accident. La question posée revenait donc à déterminer si l’administration de premiers soins inadéquats constituait un événement autonome ou s’intégrait dans une acception large et unitaire de la notion d’accident au sens de la convention.
La Cour de justice a répondu que l’administration, à bord d’un aéronef, de premiers soins inadéquats à un passager, qui ont entraîné une aggravation des lésions corporelles occasionnées par un « accident » au sens de cette disposition, doit être considérée comme relevant de cet accident.
Il convient dès lors d’analyser la consécration par la Cour d’une conception unitaire de l’accident (I), avant d’examiner la portée de cette solution sur l’équilibre des intérêts en présence (II).
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I. La consécration d’une conception unitaire de l’accident
La Cour de justice retient une interprétation extensive de la notion d’accident, fondée sur l’existence d’un faisceau d’événements interdépendants (A), tout en réaffirmant que la qualification d’accident est indifférente à une éventuelle faute du transporteur (B).
A. L’extension de la notion d’accident à un faisceau d’événements interdépendants
La Cour de justice estime qu’un dommage ne peut pas toujours être attribué à un événement unique et isolé. Elle juge qu’« en présence d’un ensemble d’événements intrinsèquement liés qui se succèdent, sans interruption, dans l’espace et dans le temps, cet ensemble doit être considéré comme étant constitutif d’un seul et même “accident” ». Cette approche globale permet d’appréhender une chaîne d’événements comme une seule et même cause juridique du préjudice subi par le passager.
Dans le cas d’espèce, la Cour constate que la chute de la cafetière et les premiers soins qui ont suivi sont unis par une continuité spatiale et temporelle évidente. L’administration des soins a été rendue nécessaire par la survenance des brûlures et s’est déroulée immédiatement après. Le lien de causalité entre l’événement initial et l’aggravation du préjudice due aux soins est donc incontestable, formant ainsi un bloc factuel et juridique unique. Cette solution empêche un fractionnement artificiel du fait dommageable qui nuirait à l’application cohérente du régime conventionnel.
B. L’indifférence de la faute dans la qualification de l’accident
La Cour précise également que le manquement éventuel du transporteur à ses obligations de diligence, par exemple en dispensant des soins inadéquats, est sans incidence sur la qualification d’accident. Elle rappelle que, pour que la qualification soit retenue, « il suffit que l’événement ayant causé la mort ou la lésion corporelle d’un passager se soit produit à bord de l’aéronef ».
Ce faisant, la Cour réaffirme le caractère objectif du régime de responsabilité institué par la Convention de Montréal. La notion d’accident est un simple fait générateur qui déclenche le mécanisme d’indemnisation, indépendamment de toute appréciation d’une faute commise par le transporteur ou ses préposés. La question de savoir si les soins ont été correctement administrés ne relève pas de la qualification de l’événement, mais de l’évaluation de l’étendue du préjudice réparable au titre de l’accident ainsi qualifié. L’argument du passager, qui tentait de distinguer l’accident initial de la faute commise lors des soins, est donc logiquement écarté.
Cette qualification extensive de la notion d’accident emporte des conséquences significatives quant au champ d’application exclusif de la Convention de Montréal et à l’articulation des droits des passagers et des obligations des transporteurs.
II. La portée de la solution : une clarification au service de l’exclusivité du régime conventionnel
En unifiant les différents maillons de la chaîne causale, la Cour renforce la prééminence du régime de la Convention de Montréal (A) et conforte l’équilibre recherché par ses rédacteurs entre les intérêts des passagers et ceux des transporteurs (B).
A. Le renforcement de la prééminence du régime conventionnel
Cette décision consolide le caractère exclusif du régime de la Convention, comme le prévoit son article 29. En intégrant l’aggravation du dommage dans l’accident initial, elle empêche les passagers de contourner les conditions et limites de la convention, notamment son délai de déchéance de deux ans. Une solution contraire aurait ouvert une brèche, permettant d’invoquer les droits nationaux, souvent plus favorables en termes de délais de prescription, pour des faits pourtant indissociables du transport aérien.
La Cour assure ainsi une application uniforme des règles de responsabilité, l’un des objectifs majeurs de la convention. Les transporteurs aériens bénéficient d’une sécurité juridique accrue, sachant que tout événement survenant à bord et ses conséquences immédiates seront soumis à un seul et même corpus de règles. Cela évite le risque de « forum shopping » ou de « law shopping », où un demandeur chercherait à soumettre son litige au système juridique le plus avantageux. La solution favorise la prévisibilité et l’harmonisation du droit du transport aérien international.
B. La recherche d’un équilibre entre protection des consommateurs et intérêts des transporteurs
La décision s’inscrit dans la recherche d’un « équilibre équitable des intérêts » entre passagers et transporteurs, mentionné au cinquième considérant de la convention. Pour le passager, le rattachement de l’ensemble du préjudice à l’accident lui permet de bénéficier du régime de responsabilité objective de l’article 17. Il n’a pas à prouver une faute du transporteur pour être indemnisé de l’intégralité de son dommage corporel, y compris son aggravation.
En contrepartie, le passager est tenu de respecter le cadre procédural strict de la convention, notamment le délai de forclusion de deux ans. Pour le transporteur, cette solution, bien que le soumettant à une responsabilité objective pour l’ensemble du dommage, a l’avantage de cantonner le litige dans le périmètre défini et prévisible de la Convention de Montréal. L’indemnisation est ainsi facilitée et accélérée, mais encadrée. La Cour rappelle que le régime conventionnel vise une réparation équitable pour les consommateurs tout en évitant d’imposer aux transporteurs une charge de réparation difficilement calculable qui pourrait paralyser leur activité économique.