Cour de justice de l’Union européenne, le 6 juillet 2023, n°C-593/22

Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les conditions d’application de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives. En l’espèce, un litige opposait un consommateur à un établissement de crédit au sujet d’une clause insérée dans un contrat de prêt. Le consommateur soutenait le caractère abusif de cette clause, tandis que le professionnel arguait qu’elle ne faisait que reprendre le contenu d’une disposition impérative du droit national, la soustrayant ainsi au champ d’application de la directive. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice deux questions relatives à l’interprétation de cette exclusion. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une clause contractuelle doit formellement citer ou renvoyer à la disposition nationale impérative pour bénéficier de l’exclusion et, d’autre part, si la connaissance par le consommateur de l’origine légale ou réglementaire de la clause a une incidence sur l’application de ladite exclusion. À ces questions, la Cour répond que pour être exclue du champ d’application de la directive, il n’est pas nécessaire qu’une clause « cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle-ci, mais il suffit qu’elle soit matériellement équivalente à cette disposition impérative ». Elle ajoute que la circonstance que le consommateur « n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national » n’est pas pertinente pour apprécier si la clause relève de cette exclusion. Cette décision précise ainsi les modalités d’application de l’exception de transposition d’une norme impérative (I), renforçant par là même la portée du contrôle des clauses potentiellement abusives (II).

I. La précision des modalités d’application de l’exception

La Cour de justice apporte deux éclaircissements majeurs quant aux conditions de l’exclusion prévue par la directive. Elle consacre une approche matérielle de l’équivalence entre la clause et la norme nationale (A) tout en affirmant l’objectivité de l’appréciation de cette équivalence, indépendamment de la perception du consommateur (B).

A. La prévalence de l’équivalence matérielle sur le formalisme juridique

La Cour de justice énonce clairement que l’application de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 n’est pas subordonnée à une exigence de forme. En effet, la solution retenue indique qu’il « n’est pas nécessaire que la clause insérée dans un contrat de prêt […] cite littéralement la disposition législative ou réglementaire impérative du droit national correspondante ou comporte un renvoi exprès à celle-ci ». Par cette clarification, la Cour écarte une interprétation formaliste qui aurait obligé les professionnels à reproduire mot pour mot les textes légaux ou réglementaires dans leurs contrats ou, à tout le moins, à y insérer une référence explicite. Une telle obligation aurait pu constituer une contrainte rédactionnelle lourde et peu compatible avec la clarté et l’intelligibilité des contrats destinés aux consommateurs.

En contrepartie, la Cour exige une condition de fond : il suffit que la clause « soit matériellement équivalente à cette disposition impérative, à savoir qu’elle ait le même contenu normatif ». Cette notion d’équivalence matérielle implique que le juge national doit procéder à une analyse comparative rigoureuse du contenu de la clause litigieuse et de celui de la disposition légale ou réglementaire dont elle est supposée découler. Le champ d’application, les conditions et les effets juridiques de la clause doivent coïncider avec ceux de la norme nationale. Toute divergence, même minime, qui modifierait la substance des droits et obligations des parties par rapport au cadre légal impératif, ferait obstacle à l’application de l’exclusion.

B. L’indifférence de la perception subjective du consommateur

Dans le second temps de son raisonnement, la Cour répond à la question de savoir si la connaissance par le consommateur de la nature impérative et légale de la clause est une condition de l’exclusion. La réponse est négative et sans équivoque : est jugée non pertinente « la circonstance que ce consommateur n’a pas eu connaissance du fait que cette clause reflète une disposition législative ou réglementaire impérative du droit national ». Ce faisant, la Cour ancre l’analyse de l’exclusion dans un cadre purement objectif. L’applicabilité de l’article 1er, paragraphe 2, ne dépend que d’un seul critère : la correspondance matérielle entre la clause contractuelle et la disposition nationale impérative.

Cette solution est logique au regard de la finalité de la directive. Le système de protection qu’elle instaure vise à pallier un déséquilibre objectif dans la relation contractuelle, et non à sanctionner un défaut d’information spécifique quant à l’origine des normes applicables. Subordonner l’exclusion à l’état des connaissances du consommateur introduirait une insécurité juridique considérable. Cela obligerait les juridictions à une recherche difficile, voire impossible, de la connaissance effective d’un contractant au moment de la conclusion du contrat. En objectivant le critère, la Cour assure une application uniforme de l’exclusion et garantit que seules les clauses qui sont le reflet fidèle de la volonté du législateur national échappent au contrôle du caractère abusif.

II. Le renforcement de la portée du contrôle des clauses abusives

En définissant strictement les contours de l’exception, la décision commentée a pour effet de consolider le mécanisme de protection des consommateurs. Elle réaffirme le principe selon lequel le contrôle des clauses abusives est la règle (A) et assigne au juge national un rôle central dans la mise en œuvre de ce contrôle (B).

A. La réaffirmation du principe du contrôle juridictionnel

L’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 constitue une exception au principe général du contrôle des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle. Comme toute exception, elle doit être interprétée de manière stricte. La solution retenue par la Cour de justice s’inscrit parfaitement dans cette logique. En exigeant une équivalence matérielle parfaite, elle empêche les professionnels de se prévaloir de l’exclusion pour des clauses qui ne seraient que vaguement inspirées de la loi ou qui en aménageraient les termes à leur avantage. Une clause qui étendrait les obligations du consommateur ou restreindrait ses droits par rapport à ce que prévoit strictement la norme impérative ne pourrait bénéficier de l’immunité.

Cette interprétation garantit que la protection du consommateur n’est pas écartée au motif que le législateur national est intervenu dans le domaine concerné. Le professionnel ne peut se réfugier derrière la loi que s’il s’est contenté de la transposer sans y ajouter ni en retrancher quoi que ce soit de substantiel. Ainsi, la liberté contractuelle du professionnel, lorsqu’il choisit d’intégrer des éléments normatifs dans ses contrats, reste encadrée par l’exigence de ne pas créer de déséquilibre significatif au détriment du consommateur, sauf si ce déséquilibre est la conséquence directe d’une volonté du législateur national.

B. La centralité du rôle du juge national

La décision de la Cour de justice confère un rôle essentiel à la juridiction nationale. C’est à elle qu’il incombe de réaliser l’analyse de l’équivalence matérielle entre la clause contractuelle et la disposition impérative. Cette mission implique une double analyse. D’abord, le juge doit identifier la disposition de droit national pertinente et en déterminer précisément le contenu normatif. Ensuite, il doit comparer ce contenu à celui de la clause litigieuse pour vérifier leur parfaite superposition. Ce contrôle concret et minutieux est la clé de voûte du système.

En confiant cette tâche au juge national, la Cour s’assure que l’appréciation est effectuée par l’instance la plus à même de connaître et d’interpréter son propre droit. La solution favorise ainsi une application correcte et cohérente de la directive dans tous les États membres, tout en respectant les spécificités des ordres juridiques nationaux. En définitive, cette jurisprudence outille le juge national pour qu’il puisse efficacement distinguer les clauses qui relèvent de la souveraineté du législateur de celles qui, sous couvert de légalité, dissimulent un avantage contractuel injustifié pour le professionnel, et qui doivent par conséquent être soumises au crible du contrôle des clauses abusives.

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Hassan KOHEN
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