Cour de justice de l’Union européenne, le 6 juin 2013, n°C-383/10

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de la libre prestation de services. En l’espèce, la réglementation d’un État membre prévoyait une exonération fiscale sur la première tranche des revenus issus de dépôts d’épargne. Toutefois, le bénéfice de cette mesure était exclusivement réservé aux intérêts versés par les établissements de crédit établis sur le territoire national. Saisie par l’institution gardienne des traités, la Cour a été amenée à examiner si cette condition de résidence constituait une entrave prohibée par le droit de l’Union.

La procédure précontentieuse a mis en lumière l’opposition entre deux thèses. D’une part, la Commission européenne soutenait que cette mesure fiscale créait une discrimination à l’encontre des banques non-résidentes, dissuadant les épargnants de recourir à leurs services et entravant ainsi directement la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux. D’autre part, l’État membre défendeur justifiait sa législation par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux, d’éviter les risques de double exonération et de protéger les petits épargnants. Face à l’échec de cette phase, un recours en manquement a été introduit.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si une législation nationale qui réserve le bénéfice d’une exonération fiscale sur les revenus de dépôts d’épargne aux seuls intérêts versés par des établissements de crédit résidents constitue une restriction à la libre prestation de services, prohibée par le droit de l’Union.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge qu’« en instaurant et en maintenant un régime établissant une imposition discriminatoire des intérêts payés par les banques non-résidentes, résultant de l’application d’une exonération fiscale réservée uniquement aux intérêts payés par les banques résidentes, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 TFUE ainsi que de l’article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen ». L’analyse de la Cour s’attache d’abord à caractériser l’existence d’une restriction à une liberté fondamentale (I), avant de procéder à un examen minutieux des justifications avancées par l’État membre pour en démontrer le caractère non fondé (II).

I. La caractérisation d’une restriction à la libre prestation de services

La Cour fonde sa décision sur une analyse classique en deux temps. Elle identifie d’abord une différence de traitement qui repose directement sur le lieu d’établissement du prestataire de services (A), pour ensuite en déduire un effet dissuasif constitutif d’une restriction (B).

A. Une différence de traitement fondée sur le lieu d’établissement du prestataire

La Cour constate sans équivoque que la législation en cause « établit un régime fiscal différent pour les intérêts résultant d’un dépôt d’épargne selon qu’ils sont payés par des banques établies en Belgique ou non ». Cette distinction constitue le cœur de la violation, car elle subordonne un avantage fiscal non pas à la nature du produit d’épargne, mais au seul critère géographique de l’établissement bancaire. Le traitement fiscal plus favorable est ainsi refusé aux revenus provenant de comptes ouverts auprès de banques établies dans d’autres États membres, même si ces dernières proposaient des produits d’épargne en tout point similaires à ceux des banques nationales.

Une telle mesure heurte de front le principe de non-discrimination qui sous-tend les libertés de circulation. En effet, elle empêche les prestataires de services d’autres États membres de concurrencer à armes égales les établissements nationaux sur le marché de l’épargne. La Cour réaffirme ainsi que le traité s’oppose à toute réglementation qui, sans justification objective, entrave la capacité d’un prestataire à exercer effectivement son activité dans un autre État membre.

B. Un effet dissuasif pour les épargnants et les établissements de crédit non-résidents

De cette différence de traitement découle une conséquence pratique inéluctable. La Cour relève que la réglementation litigieuse « a, d’une part, pour effet de dissuader les résidents belges d’avoir recours aux services de banques établies dans d’autres États membres […] D’autre part, cette réglementation est de nature à dissuader les titulaires d’un compte d’épargne auprès d’une banque établie sur le territoire belge […] de transférer leur compte vers une banque établie dans un autre État membre ». L’incitation fiscale oriente donc le choix des consommateurs, rendant les services des banques étrangères moins attractifs.

Cette approche met en évidence la double dimension de la restriction. Elle ne touche pas uniquement les prestataires, mais également les destinataires de services, qui voient leur liberté de choix limitée. En subordonnant un avantage fiscal à la sélection d’un prestataire national, l’État membre porte atteinte à l’essence même du marché intérieur. La mesure a pour effet de cloisonner le marché national de l’épargne et de le protéger de la concurrence transfrontalière, ce qui est précisément ce que les libertés fondamentales visent à empêcher.

II. Le rejet des justifications avancées par l’État membre

Une fois la restriction constatée, la Cour examine les arguments de l’État membre visant à la justifier. Elle écarte la justification tirée de la nécessité des contrôles fiscaux (A) et juge la mesure disproportionnée au regard de l’objectif de lutte contre la fraude (B).

A. L’inefficacité de la justification tirée de la nécessité des contrôles fiscaux

L’État membre soutenait que l’absence d’un mécanisme de retenue à la source pour les banques étrangères rendait le contrôle fiscal plus complexe. Cependant, la Cour balaye cet argument en rappelant l’existence d’instruments de coopération administrative entre les États membres. Elle considère que « les mécanismes d’assistance mutuelle existant entre les autorités des États membres sont suffisants pour permettre à un État membre d’effectuer un contrôle de la véracité des déclarations des contribuables relatives à leurs revenus réalisés dans un autre État membre ».

La Cour souligne également que, même en l’absence d’une coopération parfaite, rien n’empêche les autorités fiscales « d’exiger du contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour l’établissement correct des impôts concernés ». Ce faisant, elle replace la charge de la preuve sur le contribuable qui sollicite l’avantage fiscal, une solution bien moins attentatoire aux libertés de circulation qu’une interdiction générale. L’argument d’une difficulté administrative ne saurait donc justifier une entrave aussi manifeste au marché unique.

B. La disproportion de la mesure au regard de la lutte contre la fraude fiscale

L’État membre invoquait ensuite le risque qu’un contribuable bénéficie indûment d’une double exonération en détenant des comptes dans plusieurs pays. La Cour répond par un argument de cohérence. Elle observe que « le risque de fraude ou d’abus, invoqué par le gouvernement belge, est inhérent au système d’exonération national et n’est pas tributaire de l’existence d’un élément transfrontalier ». En effet, un contribuable pourrait tout aussi bien répartir son épargne entre plusieurs banques nationales pour frauder le système.

Par conséquent, la mesure est jugée disproportionnée. Elle instaure une présomption générale de fraude à l’encontre des contribuables qui exercent leurs libertés de circulation. Or, la Cour rappelle qu’« une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscales ne saurait suffire à justifier une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs du traité ». La législation en cause va au-delà du nécessaire car elle pénalise non seulement les montages frauduleux, mais aussi l’exercice parfaitement légitime de la libre prestation de services par des épargnants qui n’ont aucune intention d’éluder l’impôt.

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Hassan KOHEN
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