La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 juin 2018, une décision relative à l’interprétation du régime de taxation des produits énergétiques. Ce litige porte précisément sur l’application des exonérations fiscales prévues par la directive 2003/96 lors de la consommation de produits au sein d’un établissement de production.
Une société exploite deux installations industrielles interconnectées situées à Nyborg pour transformer du goudron de houille en divers produits chimiques et techniques. Dans le cadre de ce processus, un solvant est fabriqué de manière accessoire puis brûlé sur place pour alimenter thermiquement les unités de distillation. Les produits finis résultant de cette activité principale, tels que le brai pour anodes ou le naphtalène, ne sont pas destinés à servir de carburant.
L’administration fiscale nationale a refusé le remboursement des taxes acquittées par l’entreprise au titre de sa consommation interne de solvant entre 2005 et 2007. Saisie du litige, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) a décidé, par une ordonnance du 27 janvier 2017, de surseoir à statuer. Elle interroge la juridiction de l’Union sur le bénéfice de l’exception au fait générateur de la taxe prévue pour l’autoconsommation de produits énergétiques.
La question posée est de savoir si cette exonération s’applique quand les produits finis fabriqués par l’établissement sont destinés à des usages autres que la combustion. La Cour doit déterminer si la finalité non énergétique de la production globale fait obstacle à la dispense de taxation des produits consommés durant le processus.
La juridiction répond par la négative en jugeant que l’article 21, paragraphe 3, de la directive précitée ne couvre pas une telle situation de production. Le bénéfice de l’exception fiscale suppose que les produits fabriqués au titre de l’activité principale de l’établissement soient eux-mêmes destinés à un usage énergétique.
I. L’exclusion du bénéfice de l’exonération pour la fabrication de produits à usage non énergétique
A. Une interprétation téléologique limitant la portée de la notion de produits énergétiques
La Cour précise d’abord que les dispositions de la directive s’appliquent uniquement aux produits qui relèvent effectivement de son champ d’application matériel et finaliste. Bien que les substances fabriquées répondent techniquement à la définition de produits énergétiques, leur usage final détermine leur soumission au cadre fiscal harmonisé de l’Union.
Le juge souligne qu’il est « inhérent à la nature ainsi qu’à la logique de la fiscalité d’exclure du champ d’application de ce cadre les produits énergétiques à double usage ». Les produits destinés à des fins chimiques ou industrielles autres que la production de chaleur ou de force motrice sortent ainsi du régime. L’interprétation littérale de la disposition est donc écartée au profit d’une lecture cohérente avec l’économie générale du texte règlementaire européen.
B. La condition de finalité énergétique imposée au processus de production
L’exonération de l’autoconsommation ne constitue pas un droit absolu pour les entreprises dès lors qu’elles produisent des substances classées dans la nomenclature douanière énergétique. La Cour considère que l’exception concernant le fait générateur de la taxe ne peut s’appliquer que si le cycle de fabrication aboutit à un produit imposable.
Le raisonnement des juges lie indéfectiblement le régime de l’intrant consommé dans l’enceinte de l’établissement à la destination finale de l’extrant produit par ce dernier. « La consommation de tels produits ne soit considérée comme relevant de l’exception concernant le fait générateur de la taxe que si elle s’effectue aux fins de la fabrication de produits relevant eux-mêmes de cette imposition ». Cette exigence garantit que l’avantage fiscal accordé au producteur est justifié par la nature énergétique de son activité industrielle globale.
II. La sauvegarde de la cohérence du régime de taxation harmonisée
A. La prévention des lacunes fiscales et des distorsions de concurrence
La solution rendue vise principalement à maintenir l’intégrité du système de taxation harmonisé en évitant des situations d’absence totale d’imposition au sein du marché intérieur. Si l’exonération était accordée dans ce cas, le produit consommé échapperait à la taxe sans que le produit fini ne soit jamais taxé.
L’application de l’article 21, paragraphe 3, à des fins non énergétiques « aurait pour conséquence de créer une lacune au sein du régime de taxation harmonisée ». Une telle interprétation permettrait à certains secteurs industriels de bénéficier d’un avantage indu par rapport aux opérateurs utilisant des combustibles provenant de tiers. Le juge protège ainsi le bon fonctionnement du marché intérieur en interdisant toute rupture d’égalité fiscale entre les différentes méthodes de production d’énergie.
B. La conciliation entre efficacité énergétique et objectifs environnementaux
La décision prend également en compte les objectifs de politique environnementale tout en limitant les incitations fiscales aux seules situations d’efficacité dans la production énergétique. L’obligation pour les États membres d’exonérer l’autoconsommation de produits fabriqués sur place cherche à favoriser une gestion thermique optimale des sites industriels.
Toutefois, cette incitation ne saurait justifier une dérogation générale aux principes de la directive lorsque la finalité de l’activité est étrangère au secteur de l’énergie. La Cour rejette l’idée que la protection de l’environnement imposerait une exonération systématique favorisant l’utilisation de ressources internes pour des productions purement chimiques. Elle maintient ainsi un équilibre strict entre le soutien à l’efficacité énergétique des installations et la nécessité d’une base fiscale commune et cohérente.