Il convient d’examiner la décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne le 29 juillet 2024. Cette affaire s’inscrit dans le cadre d’un recours en manquement visant à sanctionner le défaut de transposition d’une directive relative à la protection des lanceurs d’alerte. Un État membre n’avait pas adopté les dispositions nationales nécessaires pour se conformer aux exigences du droit de l’Union dans les délais prescrits. La Commission européenne a donc saisi la juridiction afin de faire constater cette omission et d’obtenir le paiement de sanctions pécuniaires. La question centrale portait sur la détermination de la responsabilité étatique face à une absence prolongée de communication des mesures d’exécution. Les juges devaient ainsi évaluer la gravité du manquement pour fixer le montant de la somme forfaitaire due. La Cour a conclu au manquement caractérisé et a condamné l’État au versement d’une somme de deux millions trois cent mille euros.
I. L’identification d’un manquement caractérisé aux obligations de transposition
A. Le constat objectif de l’inexécution des prescriptions européennes
La juridiction souligne d’emblée que l’État n’a pas « adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive ». Cette formulation rappelle l’obligation de résultat qui pèse sur les autorités nationales dès l’expiration du délai imparti. L’absence de communication des mesures à l’institution requérante suffit à établir matériellement la violation des engagements souscrits lors de l’adhésion. Les circonstances internes ou les difficultés administratives ne sauraient justifier le dépassement du terme fixé par l’avis motivé du 15 juillet 2022. La Cour de justice de l’Union européenne maintient ainsi sa jurisprudence constante relative au caractère objectif de la procédure de manquement.
Cette rigueur s’explique par la nécessité de garantir une application uniforme du droit de l’Union sur l’ensemble du territoire européen. Le retard constaté prive en effet les citoyens des garanties offertes par la législation relative à la protection des personnes signalant des violations. La protection des lanceurs d’alerte constitue un enjeu majeur pour l’intégrité de l’ordre juridique et la détection des pratiques illicites. En n’agissant pas promptement, le législateur national porte atteinte à l’efficacité des mécanismes de surveillance prévus par le texte de 2019. L’inexistence de dispositions de transposition au jour de l’expiration du délai scelle définitivement la qualification juridique des faits présentés.
B. L’irrecevabilité des justifications fondées sur des contraintes internes
L’État défendeur ne peut utilement invoquer la complexité de sa procédure législative ou des instabilités politiques pour s’exonérer de ses obligations. Le droit de l’Union ne tolère aucune dérogation fondée sur l’organisation constitutionnelle ou administrative propre à chaque entité souveraine membre. La décision précise que le manquement consiste également dans le fait de n’avoir pas « communiqué ces dispositions à la Commission ». Cette double omission, législative et informative, renforce la gravité de la faute imputée à l’autorité publique nationale concernée. Le juge rejette ainsi implicitement tout argumentaire qui tendrait à relativiser la portée du retard accumulé depuis l’avis motivé.
Le système juridique européen repose sur une confiance mutuelle qui impose le respect scrupuleux des calendriers de mise en œuvre. Une telle passivité compromet la réalisation des objectifs communs et crée des distorsions préjudiciables entre les différents États membres. La persistance de l’infraction malgré les avertissements successifs de l’institution de contrôle démontre une négligence que la Cour ne peut ignorer. L’absence de mesures concrètes au terme du délai de grâce octroyé par la procédure précontentieuse justifie pleinement le passage à la phase juridictionnelle. Cette étape préalable de constatation ouvre alors naturellement la voie à l’application de sanctions financières destinées à rétablir la légalité.
II. Le prononcé d’une sanction pécuniaire dissuasive pour défaut de notification
A. La fixation d’une somme forfaitaire proportionnée à la gravité de l’omission
Le dispositif de l’arrêt énonce que l’État « est condamné à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 2300000 euros ». Ce montant résulte d’une appréciation souveraine tenant compte de la durée du manquement et de la capacité financière du débiteur. La somme forfaitaire sanctionne l’existence même de l’infraction commise entre la date limite de transposition et la régularisation éventuelle de la situation. Elle se distingue de l’astreinte journalière par son caractère répressif attaché à la période de temps déjà écoulée. La Cour de justice de l’Union européenne applique ici l’article 260, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le choix d’un montant significatif vise à prévenir toute tentation de différer l’application des normes européennes pour des motifs de convenance nationale. Les juges prennent en considération l’importance des intérêts protégés par la directive dont la transposition a été négligée par les autorités. Une sanction trop modique perdrait son effet utile et ne permettrait pas d’assurer la primauté effective du droit de l’Union. Le calcul intègre également le besoin de cohérence avec les précédentes condamnations prononcées dans des contextes de manquements similaires. Cette approche globale assure une prévisibilité juridique tout en conservant une marge de manœuvre adaptée aux spécificités de chaque affaire.
B. La finalité préventive et la répartition des charges processuelles
La condamnation financière poursuit un objectif de dissuasion générale envers l’ensemble des membres de l’Union tentés par une inertie législative. La Cour impose également à l’État de « supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne ». Cette répartition classique des frais de justice confirme la défaite totale de la partie défenderesse dans l’instance engagée par l’institution. L’attribution de la charge des dépens renforce le poids économique de la décision pour le budget de l’autorité publique condamnée. La présence d’un État intervenant, dont les dépens restent à sa charge, illustre l’intérêt collectif porté à la résolution de ce litige.
L’arrêt souligne enfin l’importance de la coopération loyale entre les institutions européennes et les administrations centrales des pays membres. Le paiement effectif de la somme forfaitaire doit intervenir sans délai pour éteindre la dette née du manquement constaté par la juridiction. Ce mécanisme de sanction pécuniaire directe constitue l’un des outils les plus efficaces pour garantir l’application concrète des directives. La décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 29 juillet 2024 réaffirme ainsi l’autorité supranationale des normes communes. Elle rappelle que la souveraineté nationale s’exerce dans le respect rigoureux des engagements pris au sein de l’espace juridique européen.