Cour de justice de l’Union européenne, le 6 mars 2025, n°C-20/24

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision non datée mais qui s’inscrit dans sa jurisprudence constante, a été amenée à interpréter le règlement (CE) n° 261/2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers aériens. En l’espèce, un passager, détenteur d’une carte d’embarquement pour un vol faisant partie d’un voyage à forfait, s’est probablement vu refuser une indemnisation par le transporteur aérien à la suite d’un incident d’exploitation. Le voyage avait été organisé par un tiers qui avait réglé le prix du vol au transporteur, tandis que le passager lui-même n’avait pas directement payé le voyage, son coût ayant été acquitté par une autre entité. Le transporteur aérien a vraisemblablement contesté ses obligations en soutenant, d’une part, que le passager ne disposait pas d’une réservation confirmée au sens du règlement et, d’autre part, qu’il voyageait à un tarif non accessible au public, ce qui l’excluait du champ d’application du texte. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, probablement polonaise au vu de la langue de procédure, la Cour a dû clarifier si une carte d’embarquement suffisait à prouver une réservation confirmée et si le paiement du voyage par un tiers faisait entrer le passager dans la catégorie des personnes voyageant gratuitement ou à tarif réduit. À ces interrogations, la Cour répond de manière affirmative sur le premier point, en jugeant qu’une carte d’embarquement peut valoir preuve d’une « réservation confirmée », et de manière négative sur le second, en estimant que le mode de financement du billet est inopérant dès lors que le transporteur a bien perçu une contrepartie économique. La solution précise ainsi les conditions d’éligibilité à la protection du règlement, en consacrant la force probante de la carte d’embarquement (I) puis en procédant à une interprétation restrictive de la clause d’exclusion relative aux voyages à titre gratuit (II).

I. La consécration de la force probante de la carte d’embarquement

La Cour de justice renforce la protection des passagers en reconnaissant la carte d’embarquement comme une preuve suffisante de la réservation (A), instaurant ainsi une présomption simple qui facilite la charge probatoire incombant au voyageur (B).

A. L’assimilation de la carte d’embarquement à une « autre preuve » de réservation

La Cour de justice fournit une interprétation pragmatique des exigences posées par le règlement européen. Pour bénéficier d’une indemnisation, le passager doit être en possession d’une « réservation confirmée », définie par l’article 2, sous g), comme le fait de détenir un billet ou « une autre preuve indiquant que la réservation a été acceptée et enregistrée par le transporteur aérien ». Le litige portait sur la nature de cette « autre preuve ». En affirmant qu’« une carte d’embarquement peut constituer une « autre preuve », au sens de la première de ces dispositions », la Cour opte pour une solution favorable au consommateur. Elle considère que l’émission de ce document par le transporteur matérialise nécessairement l’acceptation et l’enregistrement préalables de la réservation. Cette analyse met fin aux incertitudes et prévient les manœuvres dilatoires des compagnies aériennes qui pourraient arguer d’un défaut de preuve formelle de la réservation malgré la délivrance d’un titre d’accès à bord.

B. Une présomption au service de la protection du passager

En conférant cette valeur à la carte d’embarquement, la Cour établit en réalité une présomption de réservation confirmée. Le passager qui présente ce document est donc réputé, de manière quasi irréfutable en pratique, remplir la condition première pour l’application du règlement. Cette solution allège considérablement la charge de la preuve pesant sur lui, car il n’a plus à produire le détail de son dossier de réservation ou un billet électronique parfois difficile à retrouver. La Cour tempère néanmoins cette règle en précisant qu’elle s’applique « dans une situation où aucune circonstance extraordinaire particulière n’est démontrée ». Elle réserve ainsi la possibilité pour le transporteur de renverser cette présomption, bien que les cas de figure soient vraisemblablement marginaux, comme une fraude avérée ou une erreur manifeste et reconnue. La valeur de cette décision est donc considérable, car elle clarifie un point procédural essentiel au profit de l’effectivité des droits des passagers.

Après avoir solidifié le droit à indemnisation sur le plan probatoire, la Cour s’attache à délimiter le périmètre des exclusions possibles, en se penchant sur la situation des passagers ne payant pas directement leur voyage.

II. L’interprétation restrictive de l’exclusion relative aux voyages à titre gratuit

La Cour examine ensuite la seconde exception soulevée par le transporteur, liée à l’article 3, paragraphe 3, du règlement. Elle rejette une conception extensive de l’exclusion en dissociant la personne du passager de celle du payeur (A), ce qui la conduit à réaffirmer la finalité protectrice du règlement et à préciser la charge de la preuve (B).

A. La dissociation entre le bénéficiaire du transport et le payeur du billet

L’argument du transporteur consistait à dire que, le passager n’ayant rien déboursé personnellement, il devait être considéré comme voyageant « gratuitement ou à tarif réduit non directement ou indirectement accessible au public ». La Cour écarte ce raisonnement en analysant la chaîne contractuelle dans sa globalité. Elle juge que le critère pertinent n’est pas de savoir qui paie, mais si le transporteur a reçu une rémunération pour le siège occupé. Elle énonce clairement que l’exclusion ne joue pas « lorsque, d’une part, l’organisateur de voyages verse le prix du vol au transporteur aérien effectif conformément aux conditions du marché et, d’autre part, le prix du voyage à forfait est versé à cet organisateur non pas par ce passager, mais par un tiers ». Cette solution est d’une grande portée, car elle couvre de nombreuses situations modernes : voyages d’affaires payés par l’employeur, séjours offerts en cadeau, ou encore lots gagnés lors d’un concours. L’essentiel est que le transporteur n’ait pas fourni sa prestation à perte ou à des conditions préférentielles fermées au public.

B. La charge de la preuve et la finalité du règlement

En dernier lieu, la Cour renforce sa position en assignant la charge de la preuve au transporteur aérien. Elle affirme qu’« Il incombe à ce transporteur aérien de démontrer, selon les modalités prévues par le droit national, que ledit passager a voyagé gratuitement ou à un tel tarif réduit ». Cette règle est fondamentale, car elle empêche les compagnies de se retrancher derrière le secret des affaires ou la complexité des accords avec les organisateurs de voyages pour échapper à leurs obligations. Le passager n’a pas à prouver les conditions financières du contrat liant le transporteur au tour-opérateur. Cette interprétation est cohérente avec l’objectif de protection élevée des passagers poursuivi par le règlement n° 261/2004. L’exclusion de l’article 3, paragraphe 3, retrouve ainsi son sens premier : ne viser que les cas où le transport est réellement effectué en dehors de tout cadre commercial direct ou indirect, comme pour les employés de la compagnie voyageant avec des billets de service.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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