La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 mars 2025, une décision fondamentale relative à l’indépendance des autorités de régulation dans le secteur électrique. Ce litige opposait plusieurs gestionnaires de réseau à une autorité de l’énergie suite à la modification impromptue des méthodes de calcul des tarifs de distribution. L’origine du différend résidait dans une réforme législative nationale adoptée en 2021 visant explicitement à limiter la hausse des prix pour les consommateurs finaux. Saisi du litige, le tribunal des affaires économiques de Finlande a décidé de surseoir à statuer pour interroger le juge européen sur la validité de cette pratique. La question portait sur la conformité de l’influence politique exercée par les travaux préparatoires d’une loi sur les décisions techniques de l’autorité de régulation autonome. Le juge de l’Union a précisé que le droit européen ne s’oppose pas à une législation nationale poursuivant des objectifs politiques généraux sans donner d’instructions tarifaires. L’analyse de cette solution suppose d’étudier la consécration d’une autonomie décisionnelle protégée (I), avant d’envisager la conciliation nécessaire avec les orientations de politique énergétique (II).
I. La consécration d’une autonomie décisionnelle protégée
A. La substance de l’indépendance fonctionnelle de l’autorité
La Cour rappelle que les États doivent garantir que « l’autorité de régulation puisse prendre des décisions de manière autonome, indépendamment de tout organe politique ». Cette exigence textuelle vise à soustraire le régulateur de toute influence extérieure directe ou indirecte émanant du gouvernement ou du législateur lors de ses missions. L’indépendance désigne ici « un statut qui assure à l’organe concerné la possibilité d’agir en toute liberté par rapport aux organismes à l’égard desquels l’indépendance doit être assurée ». Cette liberté d’action est cruciale pour permettre à l’autorité d’adopter des décisions impartiales fondées exclusivement sur des critères techniques et l’intérêt public à long terme. La protection de cette autonomie fonctionnelle interdit toute immixtion du pouvoir législatif dans la fixation précise des tarifs ou des méthodes de calcul des redevances.
B. L’exclusion des instructions contraignantes lors du processus de régulation
La décision précise que le personnel de l’autorité ne doit solliciter ni accepter d’instructions directes d’aucune entité publique ou privée dans l’exercice de ses tâches. Le juge européen souligne que les représentants des ministères ne peuvent utiliser leur participation aux procédures pour exercer une pression ou orienter les décisions tarifaires. Les travaux préparatoires d’une loi ne sauraient donc constituer des injonctions déguisées obligeant le régulateur à modifier ses méthodes de calcul avant le terme prévu. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que les considérations formulées par le gouvernement sont dépourvues de caractère contraignant pour l’autorité de régulation. L’indépendance décisionnelle implique que le régulateur agisse « à l’abri de toute instruction et de toute influence extérieure » pour garantir l’équité des conditions d’accès au réseau.
La délimitation de ce périmètre d’autonomie permet alors de préciser la marge de manœuvre dont disposent les autorités politiques pour définir la politique énergétique nationale.
II. La conciliation entre régulation autonome et orientations politiques
A. La légitimité des objectifs de politique énergétique nationale
Le droit de l’Union ne prive pas les États membres de la possibilité d’établir et de publier librement leur politique énergétique nationale selon leurs priorités. Les gouvernements restent compétents pour déterminer le cadre d’action général des autorités de régulation, notamment afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement des usagers. Le juge souligne que « le seul fait qu’un État membre vise à faire baisser les prix de la distribution d’électricité n’est pas incompatible » avec l’indépendance. Les orientations générales de politique énergétique peuvent légitimement comporter des répercussions indirectes sur les coûts d’exploitation sans constituer pour autant une atteinte à l’autonomie. La mesure nationale contestée portait sur un allongement des délais de mise en conformité des réseaux, ce qui constitue un aspect purement politique de gestion.
B. La stabilité relative du cadre de contrôle tarifaire
L’entrée en vigueur d’une loi nouvelle peut justifier une modification des méthodes de contrôle par l’autorité de régulation avant l’expiration de la période initiale. Le caractère indépendant de l’exercice des compétences n’est pas remis en cause si le régulateur se saisit de sa propre initiative de cette nécessité. La Cour juge qu’une réglementation nationale ne contenant pas de dispositions régissant spécifiquement les tarifs ou leurs méthodes de calcul respecte le cadre juridique européen. L’autorité de régulation doit conserver le pouvoir d’apprécier librement le fondement des modifications qu’elle apporte à son propre modèle de contrôle de la rémunération. Cette solution assure un équilibre entre la souveraineté politique des États en matière d’énergie et la protection technique des gestionnaires de réseaux de distribution. La portée de cet arrêt confirme la primauté de l’expertise technique du régulateur sur les objectifs électoraux de court terme des gouvernements nationaux.