Cour de justice de l’Union européenne, le 6 novembre 2003, n°C-311/01

Par un arrêt en manquement du 6 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur l’articulation des droits aux prestations de chômage pour les travailleurs frontaliers au sein de l’Union. En l’espèce, un travailleur résidant aux Pays-Bas avait exercé son dernier emploi en Allemagne. Tombé en situation de chômage complet, il a perçu des prestations de l’institution néerlandaise, conformément à l’article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement (CEE) n° 1408/71. Souhaitant se rendre en France pour y rechercher un emploi, il s’est vu refuser par l’organisme néerlandais le maintien de ses prestations, au motif que le mécanisme d’exportation des droits prévu à l’article 69 du même règlement ne s’appliquait pas aux travailleurs frontaliers indemnisés par leur État de résidence. Saisie d’une plainte, la Commission a engagé une procédure en manquement contre le Royaume des Pays-Bas, considérant que cette interprétation restrictive constituait une violation du droit communautaire. L’État membre ayant maintenu sa position durant la phase précontentieuse, la Commission a introduit un recours devant la Cour de justice. La question posée aux juges était donc de savoir si un travailleur frontalier, indemnisé au titre du chômage par son État de résidence en application de la règle de compétence spéciale de l’article 71, pouvait bénéficier des dispositions de l’article 69 lui permettant de conserver ses allocations tout en cherchant un emploi dans un autre État membre. La Cour de justice répond par l’affirmative et constate le manquement, jugeant que « en déniant aux travailleurs frontaliers en chômage complet la faculté de faire usage de la possibilité prévue à l’article 69 du règlement n° 1408/71 […], le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 69 et 71 dudit règlement ». La solution repose sur une analyse combinée des deux dispositions, qui aboutit à l’assimilation du travailleur frontalier au chômeur relevant du régime général de son État de résidence. La décision clarifie ainsi la portée de la compétence de l’État de résidence en matière de chômage (I), pour ensuite consacrer une interprétation finaliste des dispositions au service de la libre circulation des travailleurs (II).

I. L’extension de la compétence de l’État de résidence

La Cour fonde son raisonnement sur la compétence exclusive de l’État de résidence pour l’indemnisation du travailleur frontalier, établie par une fiction juridique qui rend cet État pleinement compétent (A), ce qui exclut par conséquent toute compétence résiduelle de l’État du dernier emploi dans cette situation (B).

A. La désignation de l’État compétent par une fiction juridique

L’article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408/71 organise une exception au principe général de compétence de l’État du lieu de travail. Pour le travailleur frontalier en chômage complet, cet article établit que les prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge, « comme s’il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi ». La Cour souligne que cette disposition opère un rattachement spécifique au régime de sécurité sociale de l’État de résidence. Le fait que ce rattachement procède d’une fiction juridique ne diminue en rien sa portée. Au contraire, la Cour affirme que cette fiction « n’est dès lors pas de nature à affecter la conclusion selon laquelle un tel travailleur relève, en ce domaine, de la seule compétence de l’État de résidence ». En conséquence, l’État de résidence et ses institutions deviennent respectivement l’« État compétent » et l’« institution compétente » pour l’application du chapitre du règlement relatif au chômage. Cette qualification est déterminante, car elle constitue la condition d’application de l’article 69 qui vise précisément le chômeur satisfaisant aux conditions de la législation d’un « État membre ».

B. L’exclusion de la compétence de l’État du dernier emploi

Le gouvernement néerlandais soutenait que l’État du dernier emploi demeurait en principe l’État compétent, la compétence de l’État de résidence n’étant que dérivée et temporaire. La Cour rejette cette analyse en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure. Elle rappelle que la disposition de l’article 71 « prescrit clairement l’application de la législation du seul État de résidence et qu’elle exclut, par conséquent, la législation de l’État d’emploi ». La compétence de l’État du dernier emploi n’est pas simplement suspendue mais bien écartée tant que le travailleur conserve sa résidence dans l’autre État membre. C’est seulement en cas de transfert de résidence vers l’État du dernier emploi que celui-ci recouvrerait sa compétence. En l’absence d’un tel transfert, l’État de résidence est seul en charge de l’indemnisation, ce qui implique logiquement qu’il doit également assumer les obligations qui découlent de cette compétence, y compris celles prévues par l’article 69. La Cour en déduit que l’État de résidence « est, de même, seul en mesure d’assurer un éventuel maintien desdites prestations en faveur de ce travailleur lorsque ce dernier se rend dans un autre État membre en vue d’y rechercher un emploi ».

La pleine compétence de l’État de résidence étant ainsi établie, la Cour s’attache à démontrer que refuser l’application de l’article 69 à cette situation serait contraire aux objectifs mêmes du règlement.

II. La consécration d’une interprétation téléologique au service de la libre circulation

La Cour de justice écarte une lecture littérale et restrictive des textes pour privilégier une interprétation conforme à leur finalité (A), ce qui aboutit à un renforcement significatif des droits garantis au travailleur frontalier et, plus largement, à la mobilité des travailleurs au sein de l’Union (B).

A. Le rejet d’une lecture segmentée des dispositions

Face à l’argument néerlandais d’une interprétation stricte de l’article 69, la Cour examine l’objectif poursuivi par le législateur communautaire. Elle rappelle que, loin de distinguer entre les catégories de chômeurs, l’article 69 « a ainsi pour but de favoriser la mobilité des demandeurs d’emploi et de contribuer à assurer la libre circulation des travailleurs ». Parallèlement, l’article 71 vise à garantir au travailleur frontalier les conditions les plus favorables à la recherche d’un nouvel emploi, notamment en l’assimilant à un travailleur de l’État de résidence. Exclure les travailleurs frontaliers du bénéfice de l’article 69 irait à l’encontre de cette double finalité. Une telle exclusion créerait une rupture d’égalité injustifiée et pénaliserait les citoyens ayant exercé leur droit à la libre circulation. La Cour considère ainsi qu’une interprétation cohérente des deux articles impose de les appliquer cumulativement pour assurer leur plein effet utile.

B. Le renforcement des droits du travailleur frontalier en chômage

En appliquant l’article 69 au travailleur frontalier indemnisé par son État de résidence, la Cour met fin à une situation discriminatoire. Elle juge qu’une interprétation contraire « placerait lesdits travailleurs dans une situation défavorisée par rapport à la généralité des travailleurs » et qu’ils « se trouveraient en outre pénalisés pour avoir exercé le droit à la libre circulation que leur garantit le traité ». La décision garantit ainsi que le choix d’exercer une activité professionnelle transfrontalière ne se traduise pas par une restriction des possibilités de recherche d’emploi dans l’ensemble de l’Union. La Cour balaie également l’argument selon lequel l’État de résidence n’aurait pas à supporter la charge de prestations exportables alors qu’il n’a pas perçu les cotisations afférentes au dernier emploi. Elle juge qu’il s’agit là d’« une conséquence voulue par le législateur communautaire qui a entendu renforcer les chances de réinsertion professionnelle des travailleurs ». Cet arrêt confirme donc que les mécanismes de coordination de la sécurité sociale visent avant tout à lever les entraves à la mobilité, même si cela doit déroger à une logique purement contributive des systèmes nationaux.

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