Cour de justice de l’Union européenne, le 6 novembre 2014, n°C-42/13

Par un arrêt du 6 novembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conséquences du manquement d’un soumissionnaire à une obligation de production documentaire dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public. En l’espèce, un pouvoir adjudicateur italien avait lancé une procédure d’adjudication pour un contrat de cession de papiers et cartons. Le règlement de la consultation, ou *lex specialis*, imposait aux soumissionnaires de joindre à leur offre, sous peine d’exclusion, une déclaration attestant de l’absence de condamnations ou de procédures pénales visant certaines personnes, dont le directeur technique. Une association temporaire d’entreprises avait omis de produire cette déclaration pour la personne désignée comme directeur technique de l’une des sociétés membres.

Saisi du litige, le pouvoir adjudicateur a prononcé l’exclusion de l’offre de l’association. Cette dernière a tenté de régulariser sa situation après la date limite de dépôt des offres, d’une part en transmettant la déclaration manquante, d’autre part en soutenant que la désignation de la personne concernée en tant que directeur technique résultait d’une simple erreur matérielle. La contestation de la décision d’exclusion a donné lieu à des décisions divergentes des juridictions administratives italiennes. Le Conseil d’État italien, statuant en dernière instance, a validé l’exclusion en jugeant que l’omission d’une déclaration obligatoire, sanctionnée par la *lex specialis*, ne pouvait être régularisée. La juridiction de renvoi, de nouveau saisie dans le cadre d’une demande indemnitaire, a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle sanction avec le droit de l’Union.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si les principes d’égalité de traitement et de transparence, ainsi que les dispositions de la directive 2004/18/CE, s’opposent à l’exclusion automatique d’un soumissionnaire pour ne pas avoir fourni un document exigé à peine d’exclusion, même lorsque cette omission est ultérieurement corrigée ou justifiée par une erreur. La Cour de justice répond par la négative, considérant qu’une telle exclusion est non seulement conforme mais également requise par les principes fondamentaux du droit des marchés publics. Elle juge que « l’article 45 de la directive 2004/18/CE […], lu en combinaison avec l’article 2 de celle-ci, ainsi que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à l’exclusion d’un opérateur économique ».

Cette solution consacre une approche rigoureuse des obligations formelles, justifiée par la nécessité de garantir l’intégrité de la procédure d’adjudication (I). Elle réaffirme avec force l’application intransigeante des principes d’égalité de traitement et de transparence, qui constituent le fondement du droit de la commande publique (II).

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I. La consécration d’un formalisme au service de l’intégrité procédurale

La Cour de justice fonde sa décision sur une application stricte des règles de la consultation, qui s’impose au pouvoir adjudicateur lui-même (A), et opère une lecture restrictive de la faculté de régularisation des offres (B).

A. La primauté de la *lex specialis* sur la situation substantielle du soumissionnaire

La Cour rappelle un principe cardinal de la passation des marchés publics selon lequel le pouvoir adjudicateur est lié par les règles qu’il a lui-même édictées dans les documents de la consultation. En l’espèce, le cahier des charges prévoyait expressément l’exclusion des offres ne contenant pas l’ensemble des déclarations requises. La Cour en déduit logiquement qu’il « incombe à un pouvoir adjudicateur d’observer strictement les critères qu’il a lui-même fixés, de sorte qu’il serait tenu d’exclure du marché un opérateur économique qui n’a pas communiqué une pièce ou une information dont la production était imposée dans les documents de ce marché sous peine d’exclusion ».

Ce faisant, la Cour privilégie la sécurité juridique et la prévisibilité de la procédure. La régularité de l’offre est appréciée à la date limite de son dépôt, sans égard pour la situation substantielle de l’opérateur ou les justifications qu’il pourrait avancer postérieurement. L’argument selon lequel l’opérateur remplissait, au fond, les conditions de participation ou que l’omission procédait d’une erreur matérielle est jugé inopérant. Le respect des exigences formelles fixées par la *lex specialis* devient ainsi la condition première de l’évaluation de l’offre, garantissant que tous les soumissionnaires sont jugés à l’aune d’un même corpus de règles objectives.

B. Une interprétation restrictive de la faculté de régularisation

La décision commentée se prononce également sur la portée de l’article 51 de la directive 2004/18, qui autorise le pouvoir adjudicateur à inviter les opérateurs à « compléter ou à expliciter les certificats et documents présentés ». La Cour interprète cette faculté de manière stricte, en la distinguant nettement de la possibilité de remédier à une omission pure et simple. L’absence totale d’un document exigé sous peine d’exclusion n’est pas une simple « irrégularité purement formelle » mais un manquement substantiel aux règles de la procédure.

La Cour juge que la faculté de régularisation « ne saurait être interprété comme permettant à celui-ci d’admettre des rectifications quelconques à des omissions qui, selon les dispositions expresses des documents du marché, doivent conduire à l’exclusion de celui-ci ». Permettre à un soumissionnaire de produire un document essentiel après l’expiration du délai reviendrait à lui accorder un avantage indu et à vider de sa substance l’obligation de dépôt d’une offre complète dans les temps impartis. La frontière est ainsi clairement tracée entre la clarification d’une information existante et l’introduction d’une information nouvelle et obligatoire, cette dernière étant proscrite au nom de l’intégrité de la procédure.

Cette approche rigoureuse, fondée sur la nature même des règles de la consultation, est renforcée par une application exigeante des principes fondamentaux du droit des marchés publics.

II. L’application intransigeante des principes fondamentaux de la commande publique

La Cour de justice justifie sa position en mobilisant les principes d’égalité de traitement (A) et de transparence (B), qui interdisent toute flexibilité dans l’application d’une clause d’exclusion explicite.

A. Le principe d’égalité de traitement comme obstacle à la correction post-délai

Le principe d’égalité de traitement constitue le pilier de l’argumentation de la Cour. Elle rappelle que ce principe « impose que les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que ces offres soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires ». Accepter la régularisation d’une offre après la date limite de dépôt romprait cette égalité au détriment des soumissionnaires diligents qui ont, eux, respecté l’ensemble des exigences dans le délai imparti.

L’exclusion prononcée par le pouvoir adjudicateur n’est donc pas analysée comme une sanction disproportionnée mais comme la seule mesure apte à garantir une concurrence non faussée. Toute autre solution créerait une incertitude et risquerait de pénaliser les opérateurs les plus scrupuleux. En refusant de prendre en compte les justifications a posteriori, la Cour préserve l’égalité des armes entre les concurrents, qui doit être absolue au moment du dépôt des offres, clôturant ainsi toute possibilité de négociation ou de correction individuelle d’une offre incomplète.

B. L’obligation de transparence comme justification de l’inflexibilité

Étroitement liée au principe d’égalité, l’obligation de transparence vise à « garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur ». Si ce dernier disposait de la faculté d’accepter ou de refuser, de manière discrétionnaire, la régularisation d’une offre, la procédure deviendrait opaque et imprévisible. Les règles doivent être claires, précises et appliquées de manière univoque pour tous les participants.

En confirmant l’obligation d’exclure l’opérateur défaillant, la Cour renforce cette transparence. La sanction de l’exclusion, lorsqu’elle est explicitement prévue par la *lex specialis*, devient non pas une option mais une compétence liée pour le pouvoir adjudicateur. Cette automaticité prévient tout soupçon de favoritisme et assure aux opérateurs économiques que les règles du jeu, aussi strictes soient-elles, seront appliquées uniformément. La portée de cette solution est d’ailleurs générale, la Cour précisant que ce raisonnement s’applique que le contrat relève de la directive ou qu’il constitue une concession de services présentant un intérêt transfrontalier certain, car il découle directement des règles fondamentales du traité.

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Hassan KOHEN
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