Cour de justice de l’Union européenne, le 6 novembre 2023, n°C-249/23

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté le pourvoi formé contre une décision du Tribunal de l’Union. Cette affaire trouvait son origine dans une décision de la Commission européenne qui avait autorisé la prolongation de l’utilisation d’une substance chimique, en dépit des incertitudes scientifiques quant à son innocuité pour la santé humaine et l’environnement. Une organisation non gouvernementale œuvrant pour la protection de l’environnement avait alors saisi le Tribunal de l’Union d’un recours en annulation contre ladite décision.

Devant les juges de première instance, la requérante soutenait que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation et violé le principe de précaution. Le Tribunal a cependant rejeté le recours, considérant que l’institution disposait d’une large marge d’appréciation pour procéder à des évaluations économiques et scientifiques complexes. L’organisation a alors formé un pourvoi, reprochant au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en n’exerçant qu’un contrôle restreint sur l’analyse menée par la Commission. Selon la demanderesse au pourvoi, une application correcte du principe de précaution aurait dû conduire le juge à exercer un contrôle plus approfondi.

La question de droit posée à la Cour de justice était donc celle de l’intensité du contrôle juridictionnel que le juge de l’Union doit opérer sur un acte d’une institution reposant sur des appréciations scientifiques complexes et marquées par l’incertitude.

En jugeant que « le pourvoi est rejeté », la Cour de justice approuve l’analyse du Tribunal et refuse d’intensifier son contrôle. Elle réaffirme ainsi une solution constante selon laquelle le juge ne saurait substituer sa propre appréciation scientifique à celle de l’institution compétente, sauf en cas d’erreur manifeste.

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I. La confirmation d’un contrôle juridictionnel restreint sur les appréciations scientifiques complexes

La décision de la Cour de justice, bien que très succincte dans sa motivation publiée, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie qui reconnaît une marge d’appréciation étendue aux institutions de l’Union lorsqu’elles sont confrontées à des questions techniques. Cette approche a pour corollaire une limitation de l’office du juge.

A. Le maintien du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

En rejetant le pourvoi, la Cour valide le raisonnement du Tribunal qui s’est limité à un contrôle restreint. Ce contrôle consiste à vérifier que l’institution n’a pas commis d’erreur manifeste, qu’elle n’a pas détourné son pouvoir ou qu’elle a respecté les garanties procédurales. Le juge de l’Union se refuse traditionnellement à exercer un contrôle normal qui le conduirait à refaire l’évaluation technique et scientifique opérée par l’administration. Une telle retenue se justifie par la reconnaissance que les institutions, comme la Commission, disposent d’une expertise et d’une légitimité démocratique pour arbitrer entre des intérêts divergents dans un contexte d’incertitude. La solution retenue confirme donc que la complexité technique d’un dossier suffit à déclencher la déférence du juge.

B. Une interprétation stricte de la portée du principe de précaution

Le pourvoi fondait son argumentation sur la nécessité d’un contrôle plus poussé au nom du principe de précaution, consacré à l’article 191, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’arrêt de la Cour semble indiquer que l’invocation de ce principe ne suffit pas à modifier l’intensité du contrôle juridictionnel. Si le principe de précaution impose aux institutions d’agir sans attendre de disposer de toutes les certitudes scientifiques, il ne confère pas pour autant au juge le pouvoir de se substituer au gestionnaire du risque. La Cour considère vraisemblablement que le respect du principe de précaution est assuré dès lors que la décision attaquée repose sur une évaluation des risques aussi complète que possible au vu des données disponibles, et qu’elle est proportionnée à l’objectif de protection visé. Le rejet du pourvoi signifie que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission avait correctement appliqué ce principe dans les limites de sa marge d’appréciation.

II. La portée d’une solution classique face aux défis environnementaux actuels

Cet arrêt, en confirmant une approche orthodoxe du contrôle juridictionnel, soulève des questions quant à sa valeur et sa portée dans le contexte contemporain d’une conscience écologique et d’une demande de transparence accrues.

A. La valeur d’une décision garante de la séparation des pouvoirs

La position de la Cour de justice présente la valeur d’une solution respectueuse de l’équilibre institutionnel. En refusant de s’aventurer sur le terrain de l’expertise scientifique, le juge reste dans son rôle, qui est de dire le droit et non de définir la politique de gestion des risques. Cette retenue judiciaire est une garantie contre un « gouvernement des juges », où la décision politique serait en définitive prise par une autorité dépourvue de la légitimité démocratique nécessaire. La confirmation d’un contrôle restreint apparaît ainsi comme une manifestation de la séparation des pouvoirs appliquée au contentieux technique de l’Union. La cohérence du système juridique de l’Union est à ce prix, car elle assure la prévisibilité et la sécurité juridique pour les institutions comme pour les administrés.

B. Les limites d’une jurisprudence face à l’exigence d’un recours effectif

Toutefois, la portée de cette décision doit être nuancée au regard des critiques doctrinales et des attentes de la société civile. Un contrôle juridictionnel trop limité dans des domaines aussi essentiels que la santé publique et l’environnement peut être perçu comme un affaiblissement du droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Si le juge ne peut vérifier de manière approfondie la plausibilité scientifique des évaluations de l’administration, le risque existe que des décisions erronées ou insuffisamment motivées échappent à toute censure. Cet arrêt, en se contentant de rejeter le pourvoi sans autre forme de procès, ne semble pas vouloir faire évoluer sa jurisprudence. Il s’agit donc davantage d’une décision d’espèce que d’un arrêt de principe, mais sa publication signale que la Cour n’entend pas, pour l’heure, répondre aux appels à une plus grande audace dans son contrôle des actes de l’Union en matière environnementale.

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Hassan KOHEN
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