En date du 25 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu un arrêt de principe relatif à l’étendue du droit à déduction en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision portait plus précisément sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une législation nationale qui restreignait le droit de déduire la taxe afférente à des biens d’équipement lorsque leur acquisition était financée par des subventions.
Un État membre avait mis en place un dispositif législatif qui obligeait les assujettis à opérer une régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée initialement déduite lors de l’achat de biens d’investissement. Cette régularisation intervenait lorsque ces mêmes biens avaient été financés, en tout ou en partie, par des subventions d’équipement. En conséquence, le montant de la taxe déductible se trouvait diminué, créant une charge fiscale supplémentaire pour l’entreprise bénéficiaire de l’aide.
Saisine par la Commission européenne, qui estimait cette réglementation nationale contraire aux dispositions de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la Cour de justice a été amenée à statuer dans le cadre d’un recours en manquement. Le litige opposait ainsi la Commission à l’État membre concerné, le Royaume d’Espagne étant intervenu au soutien de ce dernier. Les parties s’opposaient sur l’interprétation des règles encadrant le mécanisme de déduction, notamment au regard de l’influence que pouvait avoir une modalité de financement sur un droit fiscal.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre pouvait légalement conditionner l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien d’équipement au fait que son acquisition ait été subventionnée. Il s’agissait de déterminer si une telle limitation, non expressément prévue par les textes communautaires, portait atteinte aux principes fondamentaux du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative en déclarant que, « en instaurant une règle particulière limitant la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à l’achat de biens d’équipement en raison du fait qu’ils ont été financés au moyen de subventions, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire ». La solution consacre ainsi une indépendance totale entre le droit à déduction de la taxe et l’origine des fonds ayant permis de financer l’opération économique correspondante.
L’arrêt impose une lecture stricte des conditions d’exercice du droit à déduction (I), réaffirmant par là même la prééminence du principe de neutralité fiscale qui structure le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (II).
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**I. La consécration d’une interprétation stricte des conditions du droit à déduction**
La Cour de justice, en censurant la législation nationale, rappelle que le droit à déduction est un élément central du mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée, dont les conditions d’application sont définies de manière exhaustive par le droit communautaire. Elle rejette ainsi toute tentative d’un État membre de subordonner ce droit à des critères étrangers au système commun (A), tout en confirmant le caractère limitatif des dérogations autorisées (B).
A. La censure d’un droit à déduction subordonné aux modalités de financement
La législation nationale en cause instaurait un lien de causalité direct entre le financement d’un investissement par une subvention et la réduction du droit à déduction de la taxe y afférente. Ce mécanisme revenait à considérer que la subvention diminuait la base d’imposition ou le coût réel du bien pour l’entreprise, justifiant ainsi une limitation de la taxe déductible. Une telle approche est fermement écartée par la Cour.
Le raisonnement des juges repose sur le principe fondamental selon lequel le droit à déduction est ouvert dès lors que les biens ou services acquis sont utilisés pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti. L’objectif du système de déduction est de soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. En conséquence, l’origine des ressources financières mobilisées pour acquérir un bien d’équipement est indifférente. La Cour juge que lier la déduction à cette origine reviendrait à introduire une condition non prévue par la directive, faussant ainsi le mécanisme conçu par le législateur communautaire.
B. La réaffirmation du caractère exhaustif des exceptions au droit à déduction
En fondant sa décision notamment sur les articles 17 et 19 de la sixième directive, la Cour souligne que le droit communautaire a lui-même organisé de manière précise et complète les situations dans lesquelles le droit à déduction peut être limité ou exclu. L’article 17, paragraphe 2, pose le principe d’un droit à déduction immédiat et intégral. Les paragraphes suivants, ainsi que les dispositions de l’article 19 relatives au prorata de déduction pour les assujettis mixtes, énumèrent les seules exceptions à ce principe.
Dès lors, en créant une nouvelle hypothèse de régularisation et de limitation de ce droit, la législation nationale excédait la marge de manœuvre laissée aux États membres. La décision commentée réaffirme avec force que les États ne sauraient introduire des restrictions supplémentaires, même motivées par des considérations de politique économique ou budgétaire. La liste des exceptions au droit à déduction prévue par la directive doit être considérée comme exhaustive, garantissant ainsi une application uniforme de la taxe sur le chiffre d’affaires au sein du marché intérieur.
En définissant de manière aussi claire les contours du droit à déduction, la Cour renforce la cohérence du système et assure la protection d’un de ses piliers, à savoir le principe de neutralité fiscale.
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**II. La consolidation du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée**
La solution retenue par la Cour de justice a une portée qui dépasse la simple technique de déduction de la taxe. Elle clarifie la place de la subvention au sein du système de taxe sur la valeur ajoutée (A) et garantit que les politiques d’incitation économique ne soient pas entravées par des considérations fiscales inappropriées (B).
A. L’analyse de la subvention comme une opération hors du champ de la taxe
L’arrêt met en lumière une distinction fondamentale entre l’acte d’acquisition d’un bien, qui est une opération économique soumise à la taxe, et l’octroi d’une subvention, qui se situe en dehors du champ d’application de celle-ci. Une subvention ne constitue pas la contrepartie directe d’une livraison de bien ou d’une prestation de service. Elle représente une aide financière qui, bien qu’elle puisse influencer la décision d’investir, n’interfère pas dans le rapport synallagmatique entre un fournisseur et son client.
En liant la déduction de la taxe au versement de la subvention, la législation nationale opérait une confusion entre ces deux logiques. Elle traitait l’aide financière comme si elle réduisait le prix d’acquisition du bien, ce qui est une erreur d’analyse au regard des principes de la taxe sur la valeur ajoutée. La décision de la Cour a le mérite de réaffirmer que la subvention et l’opération qu’elle finance sont deux transactions distinctes qui doivent recevoir un traitement fiscal indépendant l’une de l’autre, préservant ainsi la pureté des mécanismes de la taxe.
B. La portée de la solution sur le financement des activités économiques
Au-delà de l’orthodoxie juridique, la décision de la Cour revêt une importance économique considérable. Maintenir le système national critiqué aurait eu pour effet pervers de pénaliser les entreprises bénéficiaires d’aides à l’investissement. En effet, la perte du droit à déduction aurait augmenté le coût final des équipements, annulant ainsi une partie de l’avantage conféré par la subvention elle-même. Une telle conséquence aurait été contraire à l’objectif des politiques publiques d’incitation.
En garantissant un droit à déduction intégral et immédiat, indépendamment des modalités de financement, la Cour assure la pleine effectivité des aides publiques. La solution empêche que le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ne vienne créer des distorsions de concurrence ou ne fasse obstacle aux politiques économiques menées tant au niveau national que communautaire. Elle confirme que la neutralité de la taxe doit être absolue pour l’assujetti, qui ne doit supporter en définitive aucune charge de taxe sur la valeur ajoutée au titre de ses activités économiques.