Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2009, n°C-123/08

Dans l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions d’exécution d’un mandat d’arrêt européen, et plus spécifiquement sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une différence de traitement entre les ressortissants nationaux et les autres citoyens de l’Union résidant sur le territoire de l’État membre d’exécution. En l’espèce, un citoyen d’un État membre, résidant dans un autre État membre, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen délivré par les autorités de son État d’origine aux fins d’exécuter une peine privative de liberté. La législation de l’État d’exécution permettait de refuser la remise de ses propres ressortissants afin qu’ils purgent leur peine sur le territoire national, mais n’accordait cette faculté pour les ressortissants d’autres États membres qu’à la condition que ces derniers justifient d’un séjour légal ininterrompu de cinq ans sur son territoire. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour de justice a été amenée à examiner si une telle législation, qui instaure une distinction fondée sur la nationalité quant aux conditions de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen, est conforme au principe de non-discrimination consacré par le droit de l’Union. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si le principe d’égalité de traitement s’oppose à ce que l’État membre d’exécution subordonne le refus de remise d’un citoyen de l’Union résidant sur son territoire à une condition de durée de séjour non exigée pour ses propres nationaux. La Cour répond par la négative, tout en encadrant strictement les conditions de cette différenciation. Elle juge que si le principe de non-discrimination s’applique bien en la matière, une condition de résidence de cinq ans pour les citoyens d’autres États membres peut se justifier, à l’exclusion de toute autre exigence purement administrative.

La solution retenue par la Cour affirme l’applicabilité du principe d’égalité de traitement au mécanisme du mandat d’arrêt européen (I), tout en admettant une dérogation à ce principe, justifiée par l’objectif de réinsertion sociale du condamné (II).

I. L’extension du principe d’égalité de traitement à la procédure de remise

La Cour rappelle d’abord avec force que le citoyen de l’Union qui séjourne légalement dans un autre État membre est en droit d’invoquer le bénéfice du principe de non-discrimination à l’encontre de la législation régissant le mandat d’arrêt européen (A). Elle en déduit logiquement la prohibition de conditions administratives qui seraient sans lien avec l’objectif poursuivi par le mécanisme de non-exécution facultative (B).

A. L’invocabilité du principe de non-discrimination dans le cadre du mandat d’arrêt européen

La Cour énonce clairement que « un ressortissant d’un État membre qui réside légalement dans un autre État membre est en droit de se prévaloir de l’article 12, premier alinéa, ce à l’encontre d’une législation nationale ». Par cette affirmation, elle confirme que le statut de citoyen de l’Union confère des droits qui doivent être respectés par les États membres, y compris dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale. Le mandat d’arrêt européen, bien qu’étant un instrument destiné à faciliter la remise de personnes entre autorités judiciaires, ne saurait faire exception au champ d’application des libertés fondamentales garanties par le traité, au premier rang desquelles figurent la liberté de circulation et le principe d’égalité de traitement. Ainsi, un État membre ne peut mettre en œuvre la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen d’une manière qui créerait une discrimination injustifiée entre ses propres ressortissants et les autres citoyens de l’Union se trouvant dans une situation comparable. La résidence légale sur le territoire d’accueil place le citoyen dans le champ d’application du droit de l’Union et lui permet de s’opposer à toute mesure nationale qui le traiterait moins favorablement qu’un national sans justification objective.

B. La censure des exigences administratives disproportionnées

Dans le prolongement de ce principe, la Cour précise que l’égalité de traitement ne doit pas être entravée par des formalités administratives excessives. Elle juge que, pour l’application du motif de non-exécution facultative, « l’État membre d’exécution ne peut pas, en sus d’une condition relative à la durée de séjour dans cet État, subordonner l’application du motif de non-exécution facultative d’un mandat d’arrêt européen prévu à cette disposition à des exigences administratives supplémentaires, telles que la possession d’une autorisation de séjour à durée indéterminée ». Cette précision est essentielle, car elle empêche les États membres de vider de sa substance le droit à l’égalité de traitement en le soumettant à des conditions bureaucratiques qui ne sont pas directement liées à la situation de la personne concernée. En l’occurrence, exiger une autorisation de séjour spécifique, alors que le droit de séjour découle directement du traité pour le citoyen de l’Union, constituerait une entrave injustifiée. La Cour veille ainsi à ce que l’appréciation portée par l’autorité judiciaire d’exécution se fonde sur des éléments matériels et objectifs, comme la durée de la résidence, plutôt que sur des critères purement formels qui pourraient varier d’un État membre à l’autre et introduire une insécurité juridique.

II. La légitimation de la différence de traitement par l’objectif de réinsertion sociale

Après avoir posé le principe de l’égalité de traitement, la Cour en précise la portée en admettant qu’une différence de traitement peut être justifiée si elle repose sur des considérations objectives (A). Elle valide ainsi la condition d’une durée de résidence de cinq ans comme un critère pertinent pour évaluer le lien de rattachement de la personne avec l’État d’exécution (B).

A. La justification de la distinction par le lien d’intégration

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans le but assigné au motif de non-exécution facultative prévu à l’article 4, point 6, de la décision-cadre. Cette disposition permet à l’État d’exécution de faire purger la peine sur son territoire afin d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne condamnée une fois sa peine exécutée. La Cour considère que l’existence d’un lien de rattachement suffisant avec l’État d’exécution est déterminante pour atteindre cet objectif. Or, ce lien est présumé pour les nationaux, alors qu’il doit être établi pour les citoyens d’autres États membres. C’est pourquoi la Cour estime que le droit de l’Union « ne s’oppose pas à la législation de l’État membre d’exécution en vertu de laquelle l’autorité judiciaire compétente de cet État refuse d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de l’un de ses ressortissants aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, alors qu’un tel refus, lorsqu’il s’agit d’un ressortissant d’un autre État membre ayant un droit de séjour fondé sur l’article 18, paragraphe 1, ce, est subordonné à la condition que ce ressortissant ait séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire dudit État membre d’exécution ». La différence de traitement n’est donc pas fondée sur la nationalité en tant que telle, mais sur le degré d’intégration dans la société de l’État d’exécution, dont la nationalité n’est qu’un indice.

B. La validation du critère de résidence de cinq ans

En avalisant la condition d’un séjour légal et ininterrompu de cinq ans, la Cour ne choisit pas une durée arbitraire. Elle se réfère implicitement mais nécessairement à la législation de l’Union en matière de droit de séjour des citoyens, notamment la directive 2004/38/CE, qui prévoit l’acquisition d’un droit au séjour permanent après une période de cinq ans de résidence continue. Cette durée est considérée dans l’ordre juridique de l’Union comme le marqueur d’une intégration réussie et d’un lien durable avec le pays d’accueil. En transposant ce critère à la matière du mandat d’arrêt européen, la Cour opère une mise en balance cohérente des intérêts en présence : d’un côté, l’impératif d’efficacité de la coopération judiciaire et, de l’autre, le droit à l’égalité de traitement et l’objectif de réinsertion sociale. Le critère des cinq ans apparaît ainsi comme une mesure proportionnée et objective pour déterminer si un citoyen non national est suffisamment intégré pour justifier que l’exécution de sa peine dans l’État de résidence soit plus pertinente pour sa réinsertion future que son exécution dans son État d’origine.

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Hassan KOHEN
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