Par un arrêt du 6 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles les États membres peuvent organiser le financement des obligations de service universel dans le secteur des communications électroniques. En l’espèce, la législation d’un État membre, qui modifiait le régime de compensation financière pour la fourniture de tarifs sociaux par les opérateurs de télécommunications, a fait l’objet d’un recours en annulation devant la juridiction constitutionnelle nationale. Plusieurs entreprises, nouvellement soumises à cette obligation de service universel, contestaient une loi interprétative qui, selon elles, favorisait l’opérateur historique en établissant une présomption de charge injustifiée ouvrant droit à indemnisation. La juridiction nationale, saisie de cette contestation, a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de ce mécanisme national avec les directives européennes relatives au cadre réglementaire commun et au service universel. Le problème de droit soulevé portait sur la capacité du législateur national à agir en tant qu’autorité réglementaire et sur la méthode d’évaluation de la charge que représente la fourniture du service universel. Plus précisément, il s’agissait de savoir si une autorité réglementaire nationale pouvait, de manière générale et en se fondant sur les coûts de l’opérateur historique, constater l’existence d’une charge injustifiée pour l’ensemble des opérateurs désignés. La Cour a répondu en distinguant nettement la possibilité d’une estimation préalable du caractère potentiellement injustifié de la charge de la constatation effective de cette charge, laquelle impose un examen individualisé. Cette décision délimite ainsi les prérogatives des autorités nationales dans la mise en œuvre du service universel (I), tout en encadrant de manière stricte l’appréciation de la charge qui en découle (II).
I. La délimitation des prérogatives nationales dans la mise en œuvre du service universel
La Cour de justice reconnaît une certaine latitude aux États membres quant à la désignation de l’autorité réglementaire nationale, adoptant une approche fonctionnelle (A), tout en validant une méthode d’appréciation généralisante pour l’estimation préliminaire de la charge (B).
A. La conception fonctionnelle de l’autorité réglementaire nationale
L’arrêt admet qu’un organe législatif puisse exercer les fonctions d’une autorité réglementaire nationale, sous réserve du respect de garanties strictes. La Cour ne s’attache pas à la nature organique de l’entité désignée, mais aux conditions fonctionnelles de son intervention. Elle énonce ainsi que la directive service universel « ne s’oppose pas en principe, par elle-même, à ce que le législateur national intervienne en qualité d’autorité réglementaire nationale ». Cette souplesse est cependant conditionnée au respect des exigences fondamentales posées par le droit de l’Union. L’entité agissant comme autorité réglementaire, quelle que soit sa nature, doit impérativement satisfaire aux critères de compétence, d’indépendance, d’impartialité et de transparence. De surcroît, ses décisions doivent pouvoir faire l’objet d’un recours effectif devant un organisme indépendant. En renvoyant à la juridiction nationale le soin de vérifier si le législateur en cause répond à ces conditions, la Cour rappelle que l’autonomie institutionnelle des États membres ne saurait faire échec aux objectifs d’impartialité et d’efficacité du cadre réglementaire européen.
B. L’admission d’une estimation générale du caractère potentiel de la charge
La Cour de justice opère une distinction temporelle dans le processus d’évaluation de la charge. Elle juge que l’autorité réglementaire nationale peut légitimement procéder à une première appréciation générale et prospective. L’article 12 de la directive 2002/22, qui prévoit le calcul du coût net lorsque l’autorité « estime que la fourniture du service universel […] peut représenter une charge injustifiée », autorise une telle démarche préliminaire. La Cour confirme qu’il « ne s’oppose pas à ce que l’autorité réglementaire nationale estime de manière générale et sur la base du calcul des coûts nets du fournisseur de service universel qui était auparavant le seul fournisseur de ce service que la fourniture dudit service peut représenter une charge injustifiée ». Cette interprétation pragmatique permet de déclencher le mécanisme de calcul du coût net sans exiger au préalable un examen détaillé de la situation de chaque opérateur. Elle reconnaît qu’une évaluation fondée sur des données historiques, comme celles de l’opérateur historique, peut constituer une base pertinente pour présumer que l’obligation est susceptible de créer une charge pour l’ensemble des acteurs désormais concernés.
II. L’appréciation stricte de la charge injustifiée ouvrant droit à compensation
Si l’estimation initiale peut être générale, la Cour s’oppose fermement à ce que la constatation effective de la charge, qui conditionne l’indemnisation, procède de la même logique. Elle rejette ainsi toute forme d’automaticité dans l’octroi d’une compensation (A) et impose pour ce faire un examen individualisé de la situation de chaque entreprise (B).
A. Le rejet d’un droit automatique à l’indemnisation
L’apport principal de l’arrêt réside dans la définition de la notion de « charge injustifiée ». La Cour précise que ce concept ne saurait être assimilé à n’importe quel coût net résultant de l’obligation de service universel. Un simple déficit ne suffit pas à caractériser le caractère injustifié de la charge. Seule une charge présentant un caractère « excessif » peut justifier une compensation. La Cour énonce que la charge injustifiée est « la charge qui, pour chaque entreprise concernée, présente un caractère excessif au regard de sa capacité à la supporter compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques propres ». En liant la charge injustifiée à une appréciation de son caractère excessif pour une entreprise donnée, la Cour invalide la logique de la loi nationale en cause, qui considérait que toute situation déficitaire constituait une charge déraisonnable et donc indemnisable. Cette interprétation vise à prévenir les distorsions de concurrence en évitant qu’une compensation soit accordée à des opérateurs pour qui le coût du service universel ne représente pas un fardeau disproportionné.
B. L’exigence d’un examen individualisé
La conséquence directe de cette définition de la charge injustifiée est l’obligation pour l’autorité réglementaire nationale de procéder à une analyse au cas par cas. La Cour de justice juge que l’article 13 de la directive 2002/22 « s’oppose à ce que ladite autorité constate […] que ces entreprises sont effectivement soumises à une charge injustifiée en raison de cette fourniture, sans avoir procédé à un examen particulier de la situation de chacune de celles-ci ». Pour déterminer si la charge est excessive, l’autorité doit prendre en considération un ensemble de facteurs propres à chaque opérateur, tels que « le niveau de ses équipements, de sa situation économique et financière ainsi que de sa part de marché ». L’évaluation ne peut donc se fonder sur une extrapolation des coûts de l’opérateur historique ni sur une simple comparaison des parts de marché. En imposant cet examen individualisé, la Cour garantit que le mécanisme de financement du service universel respecte les principes de proportionnalité et de non-discrimination, assurant que seules les entreprises supportant une charge véritablement excessive bénéficient d’une compensation financée par des fonds publics ou par le secteur.