Par un arrêt du 6 octobre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la notion d’« assujetti non établi à l’intérieur du pays » dans le cadre de la sixième directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, un prestataire de services avait transféré le siège de son activité économique d’Allemagne en Autriche, tout en continuant à fournir des services à des entreprises situées en Allemagne. L’administration fiscale allemande, ayant constaté que ce prestataire résidait encore fréquemment sur son territoire, a estimé qu’il ne pouvait être considéré comme établi à l’étranger. Elle a par conséquent émis un avis d’imposition à son encontre, considérant que le mécanisme d’autoliquidation de la taxe par le preneur des services ne pouvait s’appliquer. Le prestataire a contesté cette décision devant les juridictions allemandes. Une juridiction de première instance lui a donné raison en jugeant que seul le siège de l’activité économique était pertinent. Saisi d’un pourvoi en « Revision » par l’administration fiscale, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si, pour être qualifié d’« assujetti non établi à l’intérieur du pays » au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive, il suffit que le siège de l’activité économique soit situé à l’étranger, ou s’il faut également que l’assujetti n’ait pas son domicile privé dans le pays concerné. La Cour a jugé que la seule localisation du siège de l’activité économique en dehors du pays suffit à conférer à l’assujetti la qualité de non-établi, sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte son domicile privé lorsque ce siège est effectif et réel. La Cour établit ainsi une hiérarchie claire des critères de rattachement fiscal (I), consacrant une solution pragmatique qui renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques (II).
I. La consécration d’une hiérarchie des critères de rattachement
La Cour de justice clarifie la notion d’établissement en matière de TVA en instaurant une prééminence nette du siège de l’activité économique sur les autres éléments de localisation. Elle affirme le caractère principal de ce critère économique (A) et relègue par conséquent le domicile privé de l’assujetti à un rôle purement subsidiaire (B).
A. L’application du critère principal du siège de l’activité économique
La Cour fonde son raisonnement sur une lecture cohérente des dispositions de la sixième directive et des textes subséquents. Elle rappelle que la notion d’« assujetti non établi à l’intérieur du pays » doit être interprétée uniformément, en se référant notamment à la définition donnée par la huitième directive relative au remboursement de la TVA. Cette dernière identifie le siège de l’activité économique comme le premier élément de rattachement à considérer. La solution de la Cour repose sur la constatation factuelle que le siège de l’activité de l’assujetti était connu, réel et situé hors du territoire allemand. Dans de telles circonstances, l’analyse des critères de rattachement doit s’arrêter à cet élément principal. La Cour énonce ainsi que « dans une situation telle que celle en cause au principal, qui se caractérise, d’une part, par le fait que le siège de l’activité économique de l’assujetti est connu et se trouve à l’extérieur du pays du preneur et, d’autre part, par la circonstance qu’il n’est pas contesté qu’il s’agit du siège effectif et réel et non pas d’un siège ou d’une implantation fictifs, il ne saurait être tenu compte d’un éventuel domicile privé de l’assujetti à l’intérieur de ce pays ». Cette approche privilégie une analyse objective et économique de la situation de l’opérateur.
B. Le rôle subsidiaire du domicile privé de l’assujetti
En affirmant la primauté du siège de l’activité, la Cour cantonne le critère du domicile ou de la résidence habituelle à une fonction purement supplétive. Ce critère ne devient pertinent qu’« à défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable », comme le précise explicitement l’article 1er de la huitième directive. La Cour s’inscrit ainsi dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Planzer Luxembourg*, où elle avait déjà établi un faisceau d’indices pour déterminer le siège réel d’une société et déjouer les montages artificiels de type « boîte aux lettres ». Le domicile des dirigeants ne constitue qu’un élément secondaire, utile pour identifier une implantation fictive. En l’espèce, le caractère effectif du siège autrichien n’étant pas remis en cause, le domicile privé de l’assujetti en Allemagne devenait sans pertinence pour la détermination de son lieu d’établissement fiscal. L’analyse de la Cour se concentre donc sur la réalité de l’activité économique, conformément à l’esprit de l’article 4 de la sixième directive qui définit l’assujetti par l’accomplissement d’une telle activité.
Cette clarification hiérarchique des critères de rattachement emporte des conséquences significatives, en garantissant une application plus simple et plus sûre du régime de la TVA pour les opérations transfrontalières.
II. Le renforcement de la sécurité juridique au sein du système commun de TVA
En adoptant une interprétation claire et prévisible, la Cour de justice poursuit un objectif de sécurité juridique essentiel au bon fonctionnement du marché intérieur. Cette solution allège de manière substantielle les obligations de vérification qui pèsent sur le preneur de services (A) et assure par là même la pleine effectivité du mécanisme d’autoliquidation (B).
A. La simplification des obligations pour le preneur de services
La décision a pour effet direct de simplifier la tâche du preneur de services qui doit déterminer si le mécanisme de l’autoliquidation est applicable. Si la thèse de l’administration fiscale avait été retenue, le preneur aurait été contraint de mener des investigations sur la situation personnelle de son cocontractant, notamment sur son lieu de résidence effectif. Une telle obligation serait non seulement intrusive, mais aussi source d’une grande incertitude. En établissant une présomption claire, la Cour évite cette complexité. Elle juge en effet que « cette présomption permet d’éviter au preneur établi dans un pays, qui a connaissance du fait que le prestataire a, comme en l’espèce au principal, le siège de son activité économique en dehors de ce pays, de devoir entreprendre des recherches concernant le domicile privé dudit prestataire ». Le preneur peut ainsi légitimement se fier à l’information objective et vérifiable qu’est le siège de l’activité économique de son fournisseur, tel qu’il ressort par exemple de son numéro d’identification à la TVA ou de ses factures.
B. La garantie de l’effectivité du mécanisme de l’autoliquidation
La portée de l’arrêt réside dans sa contribution à l’efficacité du mécanisme d’autoliquidation, conçu pour simplifier les obligations fiscales dans les échanges transfrontaliers. Ce mécanisme vise à libérer le prestataire de l’obligation de s’immatriculer et de déclarer la TVA dans chaque État membre où il fournit des services. L’approche de la Cour assure que cet objectif n’est pas neutralisé par des considérations liées à la situation personnelle du prestataire. Exclure l’autoliquidation dans un cas comme celui de l’espèce aurait pour conséquence de « sérieusement remettre en cause la réalisation de cet objectif ». En privilégiant un critère économique unique et stable, la Cour garantit que le régime de TVA applicable à une prestation de services est déterminé de manière prévisible et uniforme. Cette solution prévient les conflits de localisation et contribue à une perception fiable et correcte de la taxe, consolidant ainsi les fondements du système commun de TVA.