Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2015, n°C-489/14

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du six octobre deux mille quinze, précise les conditions d’application des règles de litispendance communautaires. Ce litige concerne deux époux de nationalité française résidant au Royaume-Uni qui ont engagé des procédures de divorce et de séparation de corps. Le mari a introduit une requête en séparation de corps devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre le trente mars deux mille onze. En réaction, l’épouse a saisi les juridictions du Royaume-Uni d’une demande de divorce le vingt-quatre mai deux mille onze. La juridiction britannique s’est alors dessaisie au profit des juges français conformément au règlement relatif à la compétence matrimoniale. Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a rendu une ordonnance de non-conciliation le quinze décembre deux mille onze. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles le vingt-deux novembre deux mille douze.

L’instance française a cependant été frappée de caducité le seize juin deux mille quatorze à minuit, faute d’assignation dans le délai de trente mois. L’épouse a introduit une nouvelle demande de divorce au Royaume-Uni le treize juin deux mille quatorze, soit trois jours avant cette extinction procédurale. Le mari a répliqué en déposant une seconde demande de divorce en France le dix-sept juin deux mille quatorze à huit heures vingt. La juridiction britannique a alors interrogé la Cour de justice sur la notion de compétence établie au sens de l’article dix-neuf du règlement. Elle souhaitait savoir si la compétence de la juridiction première saisie demeure établie lorsque l’instance s’éteint par l’effet des délais légaux de péremption. La Cour répond que la compétence de la juridiction première saisie n’est plus établie dès lors que la procédure initiale s’est éteinte. Il convient d’étudier la fin de la litispendance résultant de la caducité de l’instance (I) avant d’analyser le rejet des critères liés au comportement des parties (II).

I. L’extinction de la litispendance par la caducité de la première instance

A. La primauté de l’ordre chronologique des saisines

Le droit de l’Union européenne organise la gestion des procédures parallèles en se fondant exclusivement sur la priorité temporelle des saisines juridictionnelles. La Cour rappelle que « ce mécanisme se fonde sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions ont été saisies » afin d’assurer une sécurité juridique. L’article seize du règlement définit précisément le moment où une juridiction est réputée saisie selon les actes de dépôt ou de notification. Cette règle objective permet d’identifier sans ambiguïté la juridiction première saisie qui doit normalement statuer sur le fond du litige matrimonial. En l’espèce, la juridiction française était initialement la première saisie lors de la phase de séparation de corps entamée en deux mille onze. La situation de litispendance impose alors à la juridiction saisie en second lieu de surseoir à statuer jusqu’à l’établissement définitif de la compétence.

B. Le constat d’une absence de compétence établie

La Cour de justice considère que la disparition de la première procédure met fin rétroactivement à l’état de litispendance entre les deux États. Elle affirme qu’en « cas d’extinction de l’une d’elles, le risque de décisions inconciliables et, par là même, la situation de litispendance […] disparaissent ». La caducité de l’ordonnance de non-conciliation française le seize juin deux mille quatorze entraîne donc la perte de la priorité chronologique du mari. La juridiction britannique, saisie le treize juin, devient alors la juridiction première saisie au moment précis où l’instance française s’éteint juridiquement. La compétence de la juridiction française ne peut plus être considérée comme établie puisque le lien d’instance n’existe plus au moment de la décision. L’extinction de la première saisine entraîne nécessairement une redistribution des rôles juridictionnels selon une chronologie nouvelle et contraignante pour les parties.

II. L’éviction des critères subjectifs et matériels dans l’appréciation de la saisine

A. L’indifférence du manque de diligence procédurale

Le juge communautaire refuse de subordonner l’application des règles de compétence à l’examen de la diligence ou du sérieux du demandeur initial. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’éventuelle obligation pour le premier requérant d’agir avec célérité pour faire progresser son dossier judiciaire. La Cour répond fermement que « le comportement du demandeur à la première procédure, notamment son éventuel manque de diligence, n’est pas pertinent ». Cette position garantit l’efficacité du mécanisme de litispendance en évitant des enquêtes factuelles complexes sur les intentions réelles des plaideurs engagés. L’absence d’initiative concrète du mari durant trente mois ne modifie donc pas l’analyse juridique de la saisine tant que l’instance demeure formellement pendante.

B. L’inefficacité juridique du décalage horaire

Les disparités géographiques et temporelles entre les États membres ne sauraient faire échec à l’application stricte des règles de priorité chronologique du règlement. Le décalage horaire entre la France et le Royaume-Uni permettait potentiellement au mari de ressaisir les juges français plus tôt que son épouse. La Cour juge que ce facteur « n’est en tout état de cause pas susceptible de faire échec à l’application des règles de litispendance ». Les critères de saisine restent purement techniques et ne dépendent pas des avantages pratiques que pourrait offrir la situation géographique d’un tribunal. Cette approche objective de la compétence s’accompagne d’un refus explicite de prendre en compte les manœuvres ou les contraintes matérielles des plaideurs. La solution retenue privilégie la clarté du système de reconnaissance des décisions au sein de l’espace judiciaire européen de manière parfaitement neutre.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture