L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, traite de la compatibilité des frais de justice nationaux avec le droit de l’Union en matière de recours dans le cadre des marchés publics. Les faits à l’origine du litige ne sont pas détaillés, mais il apparaît qu’un justiciable s’est vu réclamer le paiement d’une contribution financière, qualifiée de « contribution unifiée » par le droit national italien, pour former un ou plusieurs recours relatifs à une procédure de passation de marché public. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour devait se prononcer sur la conformité de ce type de frais avec les exigences de la directive 89/665/CEE, qui vise à garantir l’effectivité des recours contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs. Le cœur du problème résidait dans la question de savoir si une telle obligation financière, surtout lorsqu’elle est appliquée de manière cumulative pour des actions ou moyens connexes, constitue une entrave illégitime au droit d’accès au juge garanti par le droit de l’Union. La Cour de justice répond à cette interrogation en affirmant que le principe même d’un frais de justice n’est pas contraire au droit de l’Union, mais que son application cumulative est strictement conditionnée par une analyse substantielle de l’objet des litiges par le juge national, afin de ne pas rendre l’exercice du droit au recours excessivement difficile.
L’analyse de cette décision révèle ainsi une solution à double détente. La Cour consacre la légitimité de principe des frais de justice en contentieux des marchés publics (I), tout en confiant au juge national la mission de garantir l’effectivité du recours en contrôlant leur application cumulative (II).
I. La consécration du principe de la contribution aux frais de justice en matière de marchés publics
La Cour de justice admet qu’une réglementation nationale puisse imposer le paiement de frais de justice pour l’introduction d’un recours, considérant que cette exigence n’est pas en soi contraire au droit à un recours effectif (A). Pour parvenir à cette conclusion, elle mobilise les principes cardinaux d’équivalence et d’effectivité, qui encadrent l’autonomie procédurale des États membres (B).
A. La compatibilité de principe des frais de justice avec le droit à un recours effectif
La décision établit clairement qu’une charge financière pour accéder aux voies de recours n’est pas, par nature, incompatible avec les objectifs du droit de l’Union. La Cour énonce en effet que « L’article 1er de la directive 89/665/cee […] ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui impose l’acquittement de frais de justice tels que la contribution unifiée en cause au principal lors de l’introduction […] d’un recours en matière de marchés publics ». Cette affirmation signifie que la directive, bien qu’imposant aux États membres de prévoir des recours rapides et efficaces, ne requiert pas nécessairement la gratuité de ces derniers. L’objectif est d’assurer qu’un soumissionnaire évincé puisse contester utilement la procédure, et non de supprimer tout coût associé à la défense de ses droits. Par conséquent, une contribution financière qui participe au fonctionnement du service public de la justice est jugée légitime, pourvu qu’elle ne devienne pas un obstacle dissuasif.
B. L’examen au prisme des principes d’équivalence et d’effectivité
Pour asseoir son raisonnement, la Cour s’appuie sur les principes directeurs de l’autonomie procédurale des États membres. Le principe d’équivalence exige que les modalités d’un recours fondé sur le droit de l’Union ne soient pas moins favorables que celles régissant des recours internes similaires. Le principe d’effectivité, quant à lui, interdit de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. En l’espèce, la Cour estime qu’une contribution financière ne viole ces principes que si son montant, apprécié au cas par cas par la juridiction nationale, est si élevé qu’il décourage les justiciables de former un recours. Le simple fait d’exiger un paiement n’est donc pas suffisant pour caractériser une violation, laissant une marge d’appréciation importante aux juridictions nationales pour évaluer le caractère proportionné de la charge financière.
Si la Cour admet le bien-fondé d’une participation financière du justiciable, elle en encadre cependant rigoureusement les modalités d’application, notamment en cas de pluralité d’actions ou de moyens.
II. L’encadrement judiciaire strict de la perception des frais cumulatifs
La Cour de justice apporte une nuance fondamentale en ce qui concerne l’application de frais multiples dans un même contexte litigieux. Elle proscrit l’accumulation de frais pour des objets qui ne sont pas matériellement distincts (A) et érige le juge national en garant ultime de l’effectivité du recours en lui imposant une obligation de contrôle substantiel (B).
A. La prohibition des frais de justice multiples pour un objet non distinct
La seconde partie du dispositif de l’arrêt vise à empêcher que les règles relatives aux frais de justice ne deviennent un outil de dissuasion procédurale. La Cour précise que les principes du droit de l’Union peuvent s’opposer à « la perception de frais de justice multiples auprès d’un justiciable qui introduit plusieurs recours juridictionnels se rapportant à la même passation de marché public ». De même, obliger un justiciable à verser des frais additionnels pour soulever de nouveaux arguments dans une procédure déjà engagée peut être jugé contraire à la directive. Cette distinction est essentielle : elle préserve le droit des parties à adapter leur argumentation et à contester différents aspects d’une même procédure de marché public sans être pénalisées financièrement à chaque étape, dès lors que le cœur du litige demeure inchangé. La Cour cible ici les situations où une application mécanique des règles nationales aboutirait à une multiplication artificielle des coûts.
B. Le rôle central du juge national comme garant de l’effectivité
La portée la plus significative de l’arrêt réside dans la mission de contrôle qu’il confère expressément au juge national. Face à une contestation sur le caractère cumulatif des frais, le juge ne peut s’en tenir à une approche formelle. Il doit activement « examiner les objets des recours présentés par un justiciable ou des moyens soulevés par celui-ci ». Cette injonction transforme le juge en un régulateur de l’accès au prétoire. S’il constate que les différents recours ou les nouveaux moyens ne sont pas « effectivement pas distincts ou ne constituent pas un élargissement important de l’objet du litige », la conclusion est impérative. Le juge « est tenu de dispenser ce justiciable de l’obligation de paiement de frais de justice cumulatifs ». Cette obligation de résultat place le juge national en première ligne pour assurer que l’exigence d’une contribution financière, légitime dans son principe, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif, garantissant ainsi la primauté et la pleine application du droit de l’Union.