La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 octobre 2015, une décision fondamentale concernant l’articulation entre les régimes d’intégration fiscale nationaux et les libertés fondamentales. Ce litige porte sur la faculté pour une société mère de déduire fiscalement l’amortissement de la valeur commerciale d’une filiale lors de son acquisition.
En l’espèce, une société holding a acquis l’intégralité du capital d’une entité établie en Slovaquie, intégrant cette dernière au sein d’un groupe fiscalement reconnu par la législation nationale. Le contribuable a alors procédé à un amortissement annuel de la valeur commerciale de cette acquisition, conformément aux dispositions réservées aux participations dans des sociétés résidentes.
L’administration fiscale a contesté cette pratique car le droit national réserve cet avantage aux seules participations dans des sociétés intégralement assujetties à l’impôt local. Saisie d’un recours, la juridiction administrative suprême a interrogé la Cour sur la compatibilité de cette restriction avec la liberté d’établissement et le régime des aides d’État.
Le problème juridique central consiste à déterminer si l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit une mesure réservant un avantage fiscal aux seules acquisitions nationales. La Cour juge que l’article 49 TFUE s’oppose à une législation qui « instaure une différence de traitement fiscal entre sociétés mères au détriment de celles qui acquièrent une participation dans une société non‑résidente ». Le raisonnement des juges s’articule autour de la caractérisation d’une entrave discriminatoire avant d’analyser l’absence de justifications impérieuses fondées sur l’intérêt général.
I. La caractérisation d’une entrave discriminatoire à la liberté d’établissement
A. L’existence d’un désavantage fiscal lié à l’implantation transfrontalière
La liberté d’établissement s’oppose à ce qu’un État membre entrave l’implantation d’une filiale dans un autre État membre par une société constituée conformément à sa propre législation. En l’occurrence, le mécanisme d’amortissement de la valeur commerciale de l’entreprise permet de réduire la base d’imposition de la société mère lors de l’acquisition d’une participation nationale.
L’exclusion des filiales non-résidentes crée une différence de traitement manifeste qui pénalise les structures choisissant de se développer au-delà des frontières de leur État d’origine. Cette mesure est « de nature à entraver l’exercice, par la société mère qui acquiert une participation dans une société non‑résidente, de sa liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE ». Elle dissuade effectivement les investisseurs de créer des filiales dans d’autres États membres en raison du coût fiscal supérieur induit par l’impossibilité de pratiquer cet amortissement spécifique.
B. La reconnaissance de la comparabilité objective des situations fiscales
La validité d’une telle différence de traitement suppose que les situations en cause ne soient pas objectivement comparables au regard de l’objectif poursuivi par le législateur national. Ici, l’objectif du régime est d’inciter fiscalement à la constitution de groupes de sociétés en assimilant l’achat de parts sociales à l’achat direct d’actifs d’exploitation.
La Cour souligne que les situations d’une société mère souhaitant constituer un groupe avec une filiale résidente ou une filiale non-résidente sont objectivement comparables au regard de ce régime. La circonstance que seuls les résultats des filiales résidentes soient intégralement imputés à la société mère ne constitue pas un critère de distinction pertinent pour cet amortissement. L’éligibilité à un avantage fiscal doit s’apprécier selon l’objet de la norme, sans que des différences secondaires de traitement comptable ne viennent occulter la similitude des opérations d’investissement.
II. L’inefficacité des justifications tirées de l’intérêt général
A. L’écartement du motif de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition
L’État membre invoquait d’abord la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les pays de l’Union pour justifier cette restriction de la liberté fondamentale. Cet argument repose sur l’idée que le pouvoir de taxer les bénéfices des sociétés non-résidentes échappe à la juridiction fiscale de l’État où siège la société mère.
Toutefois, les juges relèvent que l’amortissement litigieux est permis « indépendamment de la circonstance que la société dans laquelle une participation est acquise réalise des bénéfices ou subisse des pertes ». L’octroi de cet avantage fiscal ne concerne donc pas directement l’exercice du pouvoir d’imposition sur les résultats de la filiale mais porte uniquement sur la valeur de participation. Dès lors, la protection de la compétence fiscale nationale ne saurait légitimer un refus d’amortissement pour les seules acquisitions réalisées auprès de sociétés établies dans d’autres États membres.
B. L’absence de lien direct nécessaire à la cohérence du système fiscal
L’administration avançait également l’exigence de garantir la cohérence globale du système fiscal national, argument exigeant l’existence d’un lien direct entre un avantage et un prélèvement. Le gouvernement soutenait qu’un tel lien existait entre l’amortissement accordé et l’imposition future de la plus-value lors de la cession ultérieure de la participation dans la filiale.
La Cour rejette cette analyse au motif que l’imposition de la plus-value présente « un caractère éloigné et aléatoire » par rapport à l’avantage immédiat procuré par l’amortissement comptable. L’absence de lien direct est confirmée par le fait que le droit national interdit l’amortissement même lorsque le contribuable opte pour la prise en compte fiscale des cessions. Cette solution confirme la prépondérance de la liberté d’établissement sur des dispositifs fiscaux nationaux créant des barrières artificielles à l’investissement transfrontalier au sein du marché unique européen.