Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2015, n°C-73/14

Par un arrêt en date du 8 septembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre, a clarifié la répartition des compétences entre le Conseil et la Commission en matière de représentation extérieure de l’Union dans le cadre de procédures juridictionnelles internationales. En l’espèce, une organisation intergouvernementale avait saisi le Tribunal international du droit de la mer d’une demande d’avis consultatif portant sur les obligations des États en matière de lutte contre la pêche illicite. Estimant que les questions soulevées relevaient en partie de la compétence exclusive de l’Union, la Commission européenne a décidé de présenter un exposé écrit au nom de l’Union devant cette juridiction.

S’opposant à cette initiative, le Conseil de l’Union européenne a fait valoir que la détermination de la position de l’Union, même dans un contexte juridictionnel, relevait de sa compétence de définition des politiques et qu’un tel exposé ne pouvait être soumis sans son approbation préalable. Malgré ces objections et après plusieurs échanges au sein des groupes de travail du Conseil, la Commission a transmis son exposé écrit au tribunal. En réaction, le Conseil a introduit un recours en annulation contre la décision de la Commission de présenter cet exposé, estimant que cette dernière avait outrepassé ses attributions. Plusieurs États membres sont intervenus au soutien des conclusions du Conseil. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si la compétence de représentation de l’Union devant une juridiction internationale autorisait la Commission à définir seule le contenu des observations présentées au nom de l’Union, ou si cette prérogative revenait au Conseil au titre de ses fonctions politiques.

À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative, rejetant le recours du Conseil. Elle a jugé que la présentation d’un exposé juridique devant une instance juridictionnelle ne constituait pas un acte de définition d’une politique relevant de l’article 16, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne. La Cour a également écarté l’application de la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 9, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la jugeant inadaptée au contexte d’une procédure contentieuse ou consultative. La Cour consacre ainsi une prérogative significative de la Commission dans le cadre de la représentation judiciaire de l’Union, tout en encadrant cette autonomie par l’exigence d’une coopération loyale avec le Conseil. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation fonctionnelle des compétences de chaque institution, affirmant l’autonomie de la Commission en matière de représentation judiciaire de l’Union (I), une autonomie néanmoins tempérée par l’obligation de coopération interinstitutionnelle (II).

***

I. L’affirmation de l’autonomie de la Commission dans la représentation judiciaire de l’Union

La Cour de justice consolide la position de la Commission en tant que représentante de l’Union sur la scène judiciaire internationale en écartant une lecture extensive des pouvoirs du Conseil (A) et en reconnaissant à la Commission un mandat général fondé sur sa mission institutionnelle (B).

A. Le rejet d’une conception extensive des compétences du Conseil

Le Conseil fondait principalement son argumentation sur deux dispositions, l’article 218, paragraphe 9, du TFUE et l’article 16, paragraphe 1, du TUE, que la Cour a méthodiquement écartées. Premièrement, la Cour a jugé que l’article 218, paragraphe 9, du TFUE n’était pas applicable en l’espèce. Cette disposition, qui prévoit une procédure spécifique pour l’établissement des « positions à prendre au nom de l’Union dans une instance créée par un accord international », vise selon la Cour la participation de l’Union à l’adoption d’actes au sein d’une instance décisionnelle. Or, dans le cas présent, il s’agissait pour l’Union d’intervenir non pas « dans » une instance pour y voter, mais « devant » une juridiction pour y présenter des arguments. La Cour souligne que dans ce dernier cas, « l’adoption relève de la compétence et de la responsabilité des seuls membres de cette instance, qui agissent à cette fin en toute indépendance par rapport aux parties ». La distinction sémantique entre l’intervention « dans » et « devant » une instance internationale est ici déterminante pour circonscrire le champ d’application de cette procédure.

Deuxièmement, la Cour a rejeté l’argument selon lequel la définition du contenu de l’exposé écrit relevait de la fonction de « définition des politiques » attribuée au Conseil par l’article 16, paragraphe 1, du TUE. Elle a estimé que l’objet de l’exposé en cause n’était pas de créer une nouvelle politique en matière de pêche illicite, mais bien de présenter l’état du droit existant. L’exposé visait à « présenter au [Tribunal international du droit de la mer], sur la base d’une analyse des dispositions internationales et de la réglementation de l’Union pertinentes en cette matière, un ensemble d’observations juridiques ». Il s’agissait donc d’un exercice de nature technique et juridique, et non d’un acte politique de création de normes ou d’orientations nouvelles, même si ce dernier pouvait avoir des implications politiques.

B. La consécration d’un mandat général de représentation judiciaire

Après avoir réfuté les arguments du Conseil, la Cour a identifié le fondement des prérogatives de la Commission. Elle a d’abord reconnu que l’article 335 du TFUE, qui dispose que « l’Union est représentée par la Commission », constitue l’expression d’un principe général applicable au-delà de la seule représentation devant les juridictions nationales des États membres. Cette interprétation large confère à la Commission une base juridique solide pour agir au nom de l’Union devant toute juridiction internationale. La Cour établit ainsi que la représentation en justice est une fonction institutionnelle distincte, qui ne se confond pas avec la représentation diplomatique ou la négociation d’accords internationaux.

Ensuite, cette compétence de représentation se rattache directement au rôle de la Commission en tant que « gardienne des traités » en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du TUE. En présentant la position juridique de l’Union, la Commission veille à l’application du droit de l’Union, lequel inclut les accords internationaux conclus par elle, comme la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Cette démarche ne consiste pas en des choix politiques discrétionnaires, mais en l’exécution d’une mission de protection de l’ordre juridique de l’Union et de promotion de ses intérêts généraux sur la scène internationale. La Cour valide ainsi l’idée que la défense des positions juridiques de l’Union est une fonction exécutive qui incombe naturellement à l’institution chargée de la mise en œuvre du droit.

***

II. Une autonomie encadrée par le principe de coopération loyale

L’autonomie reconnue à la Commission n’est pas absolue. La Cour la conditionne au respect du principe de coopération loyale, en opérant une distinction subtile entre l’argumentation juridique et la décision politique (A) et en faisant du dialogue interinstitutionnel le véritable garde-fou de l’équilibre des pouvoirs (B).

A. La distinction fonctionnelle entre argumentation juridique et choix politique

L’un des apports majeurs de l’arrêt réside dans la clarification de la frontière entre ce qui relève du choix politique et ce qui appartient à l’argumentation juridique. Le Conseil et les États membres intervenants soutenaient que certaines questions, comme la compétence même du tribunal ou la recevabilité de la demande d’avis, relevaient de « choix stratégiques ou politiques » qui leur appartenaient. La Cour a balayé cet argument en considérant que de telles observations, bien que stratégiques, « sont, au même titre que les observations présentées quant au fond de l’affaire en cause, caractéristiques de la participation à une procédure devant une juridiction ». Par conséquent, elles ne sauraient être qualifiées de « définition d’une politique ».

Cette approche fonctionnelle suggère que tout ce qui est intrinsèquement lié à la conduite d’un procès ou d’une procédure consultative relève de la compétence de l’agent judiciaire, en l’occurrence la Commission. La Cour refuse ainsi de morceler la représentation en justice en distinguant les aspects « techniques » des aspects « politiques ». Cette solution pragmatique évite de paralyser l’action extérieure de l’Union par des conflits de compétence sur chaque aspect d’un mémoire en justice. Toutefois, la pérennité de cette distinction dépendra de la capacité des institutions à s’accorder sur ce qui constitue un argument purement juridique par opposition à une prise de position qui engagerait l’Union sur une nouvelle ligne politique.

B. Le dialogue interinstitutionnel comme correctif de l’autonomie de la Commission

Si la Cour confie à la Commission la responsabilité de la représentation judiciaire, elle souligne que cette prérogative doit s’exercer dans le respect du principe de coopération loyale, consacré à l’article 13, paragraphe 2, du TUE. Ce principe impose à la Commission « l’obligation de consulter préalablement le Conseil ». L’autonomie de la Commission ne signifie donc pas qu’elle peut agir dans le secret ou ignorer les positions des États membres. La Cour prend d’ailleurs soin de vérifier si la Commission a rempli cette obligation en l’espèce. Elle relève que la présentation de l’exposé écrit « a été précédée par la communication, par la Commission au Conseil, du document de travail […], qui a été remanié à différentes reprises […], pour tenir compte des observations exprimées au sein des groupes [de travail] ».

Le principe de coopération loyale agit ici comme un mécanisme correcteur essentiel. Il garantit que le Conseil et les États membres sont informés, consultés et que leurs vues sont prises en considération, même si la décision finale sur le contenu de l’argumentaire juridique revient à la Commission. La Cour note même que la position neutre adoptée par la Commission sur la compétence du tribunal international a été « dictée par son souci de tenir compte, dans un esprit de loyauté, des opinions divergentes exprimées par les États membres ». Ce dialogue constant assure la cohérence de l’action extérieure de l’Union et préserve l’équilibre institutionnel, non pas en conférant un droit de veto au Conseil, mais en imposant un devoir d’écoute et de collaboration à la Commission.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture